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Libération
profession d'avenir

Qu'il sera vert mon métier

Confrontés aux impératifs écologiques et aux nouvelles normes, nombre de professionnels en profitent pour repenser leurs pratiques. Témoignages.
Christophe Suard, menuisier à Is-sur-Tille
publié le 23 septembre 2015 à 17h26
(mis à jour le 28 octobre 2015 à 15h38)

Certains métiers sont anciens. Mais quand ils ont rencontré le développement durable, ils se sont transformés de façon radicale. Architecte, responsable de parcs et jardins, menuisier ou marchand de matériaux, travailleur dans une station d’épuration, voilà qui ne fait pas très high-tech. Et pourtant, dès lors que ces pratiques incluent le développement durable, elles deviennent, de fait, des métiers d’avenir.

C'est une révolution douce, moins spectaculaire que certaines proclamations surjouées ou les coups de greenwashing. Certes, il y a encore bien des inerties et des réticences, tant les façons de faire sont ancrées. Mais il existe aussi des professionnels qui ont intégré ces nouveaux enjeux, les mâtinant ici de made in France, là de bio ou d'éthique, là encore de modèle collaboratif. Chacun se pose à sa manière la question du modèle global.

«Tout le monde, des métiers de la santé à ceux du textile en passant par le transport, l'énergie ou les télécoms, fait partie de la chaîne de valeur de cette croissance verte», martelait l'économiste américain Jeremy Rifkin, théoricien de la troisième révolution industrielle, lors d'une conférence à Paris le 24 juin. Cinq parcours, cinq exemples de ces attitudes d'avenir.

L’ingénieure des procédés Sylviane Matter En circuit fermé

Sylviane Matter aime bien raisonner en boucle fermée. A 38 ans, cette spécialiste des stations d’épuration est revenue dans la ville où elle a fait ses études, Strasbourg, pour y superviser la station de la Wantzenau, la quatrième plus grosse de France, après avoir piloté celles de Santiago du Chili puis de Valenton, en région parisienne. Et à Strasbourg, elle vient d’achever le chantier d’un système fonctionnant en boucle fermée, petit bijou d’économie circulaire : l’injection, dans le gazoduc voisin, du gaz naturel issu de la fermentation des boues d’épuration des eaux usées. Ce gaz, appelé biométhane, sert donc d’énergie de chauffage pour quelque 5 000 logements strasbourgeois, mais avec un gros plus par rapport au gaz naturel fossile importé de l’étranger : il provient des déchets des Strasbourgeois eux-mêmes. Une énergie locale et renouvelable !

«Ce projet incarne bien l'évolution de mon métier», raconte la jeune femme, à la tête d'une équipe de 30 hommes. «Avant, nous étions des traiteurs d'eau, avec un œil sur l'agriculture, pour l'épandage des boues. Aujourd'hui, nous manipulons différents flux (eau, déchets, énergie) et donnons davantage dans le génie thermique.» Ce sont des compétences de thermicien qu'il fallait pour mener à bien l'injection de biométhane, projet que Suez avait vendu à la métropole de Strasbourg en 2010 pour embellir son dossier de candidature au contrat d'exploitation de la station. Il a d'abord fallu revoir le fonctionnement de l'incinérateur de boues, qui démarrait avec du fioul et appréciait que le combustible soit chargé en gaz. Gaz dont une partie servait aussi à préchauffer les «digesteurs» accueillant les bactéries mangeuses de boues. «Cette énergie est désormais apportée par un échangeur de chaleur, qui puise ses calories dans les fumées de l'incinérateur», décrit Sylviane Matter. Des boucles de recyclage dans tous les sens, donc, qui anoblissent un métier à l'image peu sexy. Et le site qu'on fuyait comme la peste devient objet de curiosité : les élus viennent de partout pour le visiter et des industriels voisins prennent contact pour refourguer leurs biodéchets à transformer en énergie verte.

L’architecte Philippe Madec Construire avec les gens

Il n’a pas fallu insister beaucoup pour que Philippe Madec, 61 ans, qui barre son atelier d’architecture comme le marin breton qu’il aurait pu être, accepte de mettre du vert dans sa carrière. Le développement durable, c’est son affaire depuis ses débuts, en 1983. Cela fait alors quatre ans qu’il est diplômé, et l’homme ne bâtit rien d’autre que des sommaires de cours magistraux qu’il donne dans des amphis moches mais renommés : ceux de Columbia, aux Etats-Unis. Ce fils d’ostréiculteur, fan de mer et de nature, se sait déjà versé dans l’écologie, mais Philippe Madec fait cette année-là une rencontre décisive : Kenneth Frampton, architecte théoricien du régionalisme critique. Ni une ni deux, Madec se convertit à cette école privilégiant les matériaux, les paysages et les savoir-faire locaux, aux antipodes de l’uniformité, de la mondialisation et de l’approche en «top-down» (l’expertise est imposée par le haut), par opposition au «bottom-up» (les idées remontent par le bas).

«Si vous voulez quelque chose d'un peu écolo qui ait bouleversé ma pratique du métier, citez cela : la coconstruction des projets», propose-t-il. Territoire par territoire, les gens ont forcément une pierre à apporter à l'édifice, et la planète leur en sait gré. Ici, la connaissance d'une espèce d'arbres qui donne un excellent bois de construction (le site Viavino, Hérault). Là, la culture de la terre crue et de la terre cuite, «l'ancêtre des matériaux biosourcés, parfait substitut au béton, très pauvre en énergie grise (1)» (Cornebarrieu, Haute-Garonne). Là encore, des bétons de chanvre façonnés en Allemagne pour isoler un immeuble de dix étages (Strasbourg, Bas-Rhin). Ou là-bas, une coopérative horticole bio sans laquelle on n'aurait pas pensé aménager une halle de marché dans l'écoquartier en construction, et qui se branchera sur la chaufferie collective au bois pour faire pousser tomates et potirons (Val-de-Reuil, Eure).

Modifier ses pratiques ? La démarche HQE (haute qualité environnementale) «a fait bouger les lignes», mais Philippe Madec regrette que sa corporation soit tombée dans le «tout énergie», entre BBC (Bâtiment basse consommation), CO2 et RT (Règlementation thermique) 2012. L'architecture, c'est aussi la santé, la qualité de l'air, les ressources locales. Un chantier inachevé.

L’agent des espaces verts Laurent LerbetEnterrer les désherbants

En quelques années, le quotidien de Laurent Lerbet a complètement changé. Le soir venu, l’agent des espaces verts qu’il est depuis cinq ans à la mairie de Pontault-Combault (Seine-et-Marne), après une première vie passée dans un laboratoire d’analyses médicales puis comme jardinier dans le privé, ne perçoit plus cette odeur de produits chimiques lorsqu’il retire ses vêtements de travail.

Et pour cause : installé dans un bâtiment qui recevra bientôt une cuve de récupération d'eau de pluie (pour l'arrosage), son service de 38 personnes est passé au «zéro phyto», en vertu de ce que la nouvelle loi de transition énergétique demande aux collectivités locales pour le 1er janvier 2017.

Plus guère d’engrais et de pesticides, ou presque, pour ce quinquagénaire très lucide sur les abus de sa corporation. Certes, il est affecté à un quartier stratégique où le pulvérisateur sera encore de rigueur pour traiter quelque 24 kilomètres de voirie, parfois pavée. Mais utilisé avec discernement.

«Avant, on badigeonnait au tracteur sans se poser de questions, c'était radical contre les mauvaises herbes et les repousses.» Aujourd'hui, son service est passé à une «gestion différenciée : désherbage à la binette, à la brosse arracheuse ou au gaz (méthode abandonnée pour cause d'émissions de CO 2 ), dans les quartiers moins centraux pouvant se passer de campagnes de désherbage intégrales et rapides. On maintient un traitement chimique ailleurs, mais avec un produit systémique non rémanent, qu'on a appris à appliquer plus finement en réglant la buse selon la plante et le sens du vent», explique Laurent Lerbet. Il n'en est pas revenu lorsque la formatrice qui lui a enseigné ces bonnes pratiques a révélé les taux de glyphosate qu'elle avait dans le sang.

Evidemment, ce souci de l'écologie se fait au détriment du confort : «On passe plus de temps et on rapproche les fréquences de passage sur une même zone. On porte nos pulvérisateurs sur le dos, on se baisse pour biner, on se fait apostropher par les riverains pour le moindre adventice [mauvaise herbe, ndlr]. Tout cela demande une nouvelle gestion des plannings pour faire l'impasse sur tel massif et se consacrer à en traiter manuellement un autre, poursuit Laurent Lerbet. Et un gros effort de communication pour déshabituer les habitants (et les élus !) à ce que tout soit nickel.» La ville a réduit ses quantités de produits phytosanitaires de 70%.

Le commercial Sébastien Sotin Refaire les plâtres

Le plâtre est blanc mais le rouge va mieux à Sébastien Sotin, responsable de développement commercial chez Siniat, une entreprise à capitaux belges qui donne, entre autres, dans l'inusable plaque de plâtre. Rouge, comme le bon vin que ce quadra grisonnant apprécie, entre Corbières et Gaillac, là où il a posé sa maison. Rouge, comme le sapeur-pompier qu'il fut dans sa jeunesse. Mais rouge surtout, parce que Sébastien Sotin se sent poindre une colère d'écolo contre tout ce qui, de près ou de loin, va à contresens d'une économie plus respectueuse de l'environnement. A l'heure où le monde du bâtiment ne jure que par la sobriété énergétique, il ne vend plus ses produits de la même façon. Et il faut l'entendre parler du suivi méticuleux qu'il tient de sa propre consommation d'électricité ! Tout le monde n'a pas un employeur qui choisit les voitures de ses collaborateurs sur le critère des émissions de CO2 à l'échappement. Lui oui.

Sébastien Sotin a donc repeint en vert l'argumentaire de vente qu'il promène sur les chantiers de Midi-Pyrénées. Le made in France ? «Made in Sud-Ouest, même. Nos clients promoteurs ou constructeurs deviennent vigilants sur l'origine des matériaux. Eux-mêmes doivent rendre des comptes», explique-t-il. Le recyclage des déchets de pose ? «Ce service nous a permis de remporter le chantier d'un hôpital.» Mais le gros de l'effort, ce sont ces formations aux nouvelles techniques de mise en œuvre, que lui-même a reçues, et qu'il dispense à ses clients.

«Quand je suis amené à vendre le même isolant qu'il y a dix ans, c'est dans des épaisseurs bien supérieures. Il faut alors expliquer comment le poser, comment le stocker sur le chantier, comment habiller un trou percé pour faire passer la plomberie, quels sont les surcoûts engendrés. C'est beaucoup de pédagogie», raconte Sébastien Sotin. Une pédagogie qui passe toujours mieux en partageant un gaillac millésimé.

L’artisan Christophe Suard Entré par la fenêtre

Son truc, c’est le bois. Le bois d’un piano (il en a un), d’un jouet pour enfants (il en a deux), d’une rampe d’escalier ou d’un fût de marsannay, un cru qu’il affectionne, et pas seulement parce que le vignoble est proche de son atelier. Christophe Suard, 37 ans, est artisan menuisier à Is-sur-Tille (Côte-d’Or). Et il doit bien reconnaître que les enjeux de développement durable ont modifié son métier. Pas sur le plan de l’origine des bois, une question qu’on lui pose rarement - et même jamais, contre toute attente, lorsque le client est une collectivité locale ou un établissement public. Non, ce qui a disparu du quotidien de Christophe Suard, ce sont les brûlages de déchets au fond de la cour. Au profit d’allers et retours à la déchetterie, pour bazarder les bois de dépose. Un acte qui lui coûte en temps et en argent. Et tourne à l’étrange lorsque l’agent lui facture au prix fort le dépôt des vieux volets enduits de peinture au plomb qui seront indifféremment jetés avec le reste.

Ce qui est apparu dans le métier, c'est la formation RGE (reconnu garant de l'environnement), stage payant à l'issue duquel l'artisan obtient un label qui permettra à ses clients de prétendre au crédit d'impôt de transition écologique. Cette aide de l'Etat doit inciter les particuliers à faire des travaux d'économies d'énergie. «Remplacer ses fenêtres, par exemple, explique Christophe Suard. Il faut avouer que le sujet de l'énergie tire le marché. Je suis devenu incollable sur les réglementations thermiques, les débits de renouvellement d'air et les vitrages à l'argon.» Il subsiste bien quelques taches sur le tableau écolo des menuisiers, comme ces panneaux de particules au formaldéhyde ou ces agglomérés mélaminés fabriqués en Chine. Mais pour le reste, c'est lasure à l'eau, colle blanche et masque de peinture. Presque comme à l'époque des compagnons du Devoir, qui envoyèrent ce Bourguignon faire un tour de France initiatique avec scie et rabot.

(1) L’énergie grise est l’énergie qu’un matériau a nécessitée pour son extraction, son usinage, son transport et son utilisation dans un bâtiment lui-même consommateur d’énergie.