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Libération
Un réseau à la barre (4/5)

Vendeur de drogue, un «métier» à responsabilités

Bien poster les guetteurs pour éviter d'être pris par la police, veiller sur la «marchandise», rendre des comptes à ses supérieurs : «charbonner» n'est pas une tâche de tout repos. «Libération» poursuit la publication des «profils» prenant part au trafic.
Des policiers devant la cité La Paternelle, à Marseille, pendant une opération antidrogue menée en janvier 2013. (Photo Boris Horvat. AFP)
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille
publié le 23 septembre 2015 à 10h48

Vendre se dit «charbonner» en langage trafiquant. Et de fait, le vendeur est concrètement celui qui va au charbon. En première ligne lors des descentes de police, responsable de sa marchandise, du placement des guetteurs, de la recette du jour… Une sacrée pression pour un profil d'ordinaire plutôt jeune. Tayeb avait 23 ans en 2012, au moment où les policiers le soupçonnent d'avoir vendu du shit au profit du plan de la Tour K. Bilel, lui, avait 19 ans. Selon l'enquête, il était l'un des revendeurs réguliers de la Place du Mérou, au cœur de la cité de la Castellane. Sur les écoutes réalisées par la justice, on l'entend discuter organisation des vacations et flux des clients avec Aziz, alias «La Z» 24 ans à l'époque des faits. Avec un troisième vendeur, Adjibou, ils tournent sur le même point de vente. Ils occupent leur poste par vacations successives, de 11 heures à minuit, heure de fermeture du plan, ou simplement une partie de la journée.

Comme n'importe quel vendeur, les charbonneurs doivent d'abord récupérer leur marchandise en gros auprès de leurs supérieurs, ces derniers disposant des clés des caches où la marchandise est stockée. Le matériel peut être caché dans l'appartement d'une nourrice, dans une cave ou encore dans une voiture. «La Z», Bilel et Adjibou, eux, s'approvisionnent dans une 206 stationnée dans la cité. Le vendeur qui prend sa vacation est responsable de sa marchandise. En cas de problème, c'est lui qui doit rendre des comptes. Adjibou l'a appris à ses dépens : après le vol de la fameuse 206 chargée de shit, il doit rembourser la somme de 6 500 euros à ses supérieurs, qui de plus, le sanctionnent en le mettant à l'écart du réseau.

Solidarité entre petites mains

Si la journée se passe bien, le chiffre d'affaires moyen s'élève à 7 000-8 000 euros par charbonneur, le kilo d'herbe se négociant à environ 7 500 euros selon la qualité. Là-dessus, le vendeur paye ses guetteurs, puis remet le butin à ses supérieurs qui, après vérification des comptes, lui reversent sa paye de la journée. Une vacation rapporte entre 100 et 140 euros selon l'efficacité du personnel. Cette concurrence interne génère parfois des tensions : ainsi, lors d'une conversation téléphonique interceptée par les enquêteurs, Bilel se plaint de n'avoir reçu que 2 200 euros là où Adjibou a cartonné à 3 500. A l'inverse, la solidarité entre petites mains est une valeur tout aussi importante. Quand Gérard, un vendeur de la bande, se fait incarcérer, c'est Adjibou qu'il appelle pour lui demander 200 euros. Et quand Adjibou part à son tour aux Baumettes, Kadafi, un autre collègue, acceptera de faire l'intérim, «par amitié» se justifie-t-il devant la présidente du tribunal. Une amitié qui lui permet de partager les bénéfices des ventes avec son camarade emprisonné.

L'esprit d'équipe touche jusqu'à la hiérarchie, pour laquelle l'équipe de vente fait bloc dans le silence. A la barre, aucun d'entre eux n'acceptera de dire à qui il remettait sa sacoche d'argent une fois le plan fermé. Ils encourent pourtant une peine tout aussi importante que leurs supérieurs : dix ans de réclusion criminelle, vingt ans pour ceux qui sont en récidive.

A relire, le troisième épisode de notre série, «les guetteurs, auxiliaires indispensables».