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Libération
Un réseau à la barre (5/5)

Trafic de drogue : cadre de réseau jeune bienvenu

Pas besoin de diplôme pour gravir les échelons dans le commerce des stupéfiants. En revanche, l'ambition et la rigueur sont indispensables.
Les forces spéciales du GIPN, à la Castellane, à Marseille, en février 2015. (Photo Boris Horvat. AFP)
par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille
publié le 24 septembre 2015 à 9h15

Ils ont la vingtaine ou à peine plus, sont dynamiques, ont gravi les échelons à la force de leur volonté, et ne veulent pas s'arrêter là… Rares sont les entreprises qui, comme les réseaux de drogue, font à ce point la part belle à la jeunesse. Même sans qualifications particulières, si l'expérience de terrain est concluante, les postes à responsabilités sont à portée de main – d'autant que le turnover est important, dynamisé par les entrées et sorties de prison. La progression dans la hiérarchie a presque des airs de parcours façon McDonald's : le jeune sans qualif débute comme guetteur pour se faire de l'argent de poche. Les perspectives d'embauche ailleurs n'étant pas mirobolantes, il reste dans le réseau pour passer vendeur et gagner sa vie. Ses bons résultats sur le terrain le feront peut-être remarquer par ses chefs. Il peut alors devenir gérant de son point de vente.

Petites courses

Bilel, 23 ans, a franchi toutes ces étapes, même s'il nie devant les juges avoir joué les gérants de la place du Mérou, dans le quartier de la Castellane, à Marseille, pendant quelques mois. Pourtant, les écoutes téléphoniques réalisées par les enquêteurs révèlent toute la complexité de sa mission. A sa charge, la gestion du stock de stupéfiants, l'organisation des vacations des vendeurs, leur approvisionnement durant la journée et la fermeture du point de vente, pour un salaire entre 4 000 et 5 000 euros par mois. C'est aussi le gérant qui récupère la sacoche des vendeurs en fin de vacation pour faire les comptes. Sur ce dernier point, les trafiquants se montrent particulièrement méticuleux : chaque dépense est notifiée, y compris l'achat du petit matériel nécessaire au commerce (pile, enveloppes…). Ces petites courses sont notamment réalisées par Ben, 23 ans, le «logisticien» du réseau pour les enquêteurs. Outre ces achats, Ben se chargeait aussi de redistribuer l'argent aux différents membres du réseau. C'est aussi lui qui, pour les policiers, a la charge de recruter des nourrices et de trouver des caches. Un service capital, qui se paye cher. Selon les comptes saisis chez une nourrice, la présidente du tribunal a fait le calcul : Ben aurait touché 33 000 euros sur trois mois.

Pour coordonner les différents gérants de points de vente, il faut un «gérant des gérants». Pour la place du Mérou, c’est «la Z» qui tiendrait ce rôle, mais devant les juges, lui maintient n’être que simple revendeur. C’est lui qui disposait des clés de différents lieux de stockage de marchandise et, ainsi, assurait l’ouverture du trafic chaque matin. Lui-même rend des comptes à «Œilleton», 33 ans. Véritable DRH, il a le pouvoir de «licencier» les vendeurs en cas de problème. Au même niveau de hiérarchie, «Ablack» alias «Negro», 25 ans, est le responsable de la sécurité. On s’adresse à lui pour régler les litiges avec les réseaux rivaux. C’est aussi lui qui prévient les équipes en cas de descente de police ou si le réseau craint d’être sur écoute.

Casino et voitures de luxe

A partir de ces sommets, les rémunérations des cadres du réseau sont plus floues. Difficile de dire exactement combien d’argent «Nono», 33 ans, a empoché. Les enquêteurs le considèrent comme la tête du réseau, ce qu’il nie farouchement. Si, à ce niveau de responsabilité, il n’est plus question de se salir les mains avec les besognes de terrain, ce sont les écoutes téléphoniques et son train de vie qui l’incrimine : parts dans des snacks, passages réguliers au casino, voyages, voitures de luxe… Ladite voiture (une BMW) est conduite par celui que les enquêteurs décrivent comme son «homme à tout faire» : «Bouder», 27 ans. Pour son patron, il réalise toute sorte de courses, lui porte de l’argent, est mandaté pour trouver un gilet pare-balles quand celui-ci fait l’objet d’une tentative d’assassinat… Un travail de confiance qui lui a permis d’empocher 19 600 euros en deux mois. Côté prison, en revanche, le tarif est le même pour tout le monde : quel que soit leur grade, les trafiquants risquent tous dix ans de prison, vingt pour les récidivistes.

A relire : le quatrième épisode de notre série, «vendeur, un "métier" à responsabilités».