Rares sont les commerces aussi accueillants. Chez les clients des réseaux de stupéfiants, peu importe l’âge, le sexe ou le statut social, tous les profils sont acceptés. On trouve aussi bien des policiers que des délinquants, des médecins comme des malades, des chômeurs, des pères de famille ou des adolescents encore boutonneux.
Plaquette. Eric, lui, a 40 ans et fume depuis ses 14 ans, l'âge qu'a son fils unique aujourd'hui. S'il s'est retrouvé un jour à la Castellane pour «toucher» (selon le jargon du milieu), c'est qu'il connaissait la réputation de la cité marseillaise en la matière. Il faisait la route depuis Toulon, dans le Var, où il réside, pour se fournir en herbe dans ce «véritable supermarché de la drogue», dixit les policiers.
L’accueil y est tout particulièrement soigné et l’organisation cadrée. Le «plan stup» de la tour K, par exemple, ouvre à 11 heures. A partir de cette heure-là, il suffit au client de se présenter à l’entrée de la cité. Les rabatteurs jouent les hôtesses d’accueil : à pied, ils s’occupent de la circulation des véhicules de la clientèle, les orientent dans le dédale de la cité vers les points de vente, le tout dans la plus grande discrétion. Le vendeur prend alors la main. Au client de choisir sa marchandise. Plusieurs qualités sont proposées : en matière d’herbe, la «cristal» représente le haut de gamme, l’Amnésia la surpasse encore et la «skunk», de qualité moindre, reste meilleur marché.
Eric, lui, prenait un peu de tout, très régulièrement. Chaque mois, il venait chercher son kilo d’herbe, négocié entre 5 000 et 6 000 euros selon la quantité. La plaquette de 100 grammes de résine de cannabis tournait, elle, autour de 300 euros. C’est son vendeur qui lui a conseillé d’acheter en gros, pour lui permettre de se faire de plus grosses marges. De quoi susciter des vocations : Eric lui-même avoue qu’il s’est mis à revendre de son côté à plus d’une vingtaine de clients dans la région toulonnaise.
Entre le vendeur et le client régulier, la confiance laisse parfois place à l’amitié, même si le business reste le business. Devant les enquêteurs, Eric reproche ainsi à son dealer de ne s’intéresser qu’à l’argent, l’arnaquant parfois de 25 grammes par kilo.
Racket. Si Eric est bien connu de son fournisseur, les nouveaux sont tout aussi bien accueillis, quels que soient les risques encourus par les vendeurs : «On a dû servir des policiers des dizaines de fois, concède Aziz. Oui, c'est un risque, mais c'est un risque qu'il faut prendre.» Une fois servi - jusqu'à 23 heures en ce qui concerne le plan de la Tour K -, le client n'en a pas forcément fini avec l'organisation.
Pour ceux qui «touchent» en grande quantité, le service se poursuit jusqu'à la sortie de la cité : le guetteur le raccompagne jusqu'à son véhicule pour éviter les rackets et autres problèmes. «Une sorte de protection», résume Aziz, vendeur de la cité. En revanche, c'est seul que le client devra rendre des comptes devant la police : selon le code pénal, les usagers de drogue encourent jusqu'à un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.
A titre complémentaire, ils peuvent aussi être contraints par le tribunal à suivre un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants. Eric a fait le sien, puis est retourné vivre chez ses parents après sa détention préventive.