Ils sont les yeux de la cité, les vigies de pointe d’une mécanique parfaitement réglée. Eux-mêmes sont difficilement repérables, la plupart du temps cachés sous une cagoule ou une capuche. Les guetteurs des plans stups ont pour rôle d’alerter les vendeurs de l’arrivée dans la cité de toute personne suspecte, potentiellement des policiers en civil. Une «profession» en pleine expansion : selon la police, ils seraient une vingtaine au moins à quadriller quotidiennement une cité comme la Castellane, à pied ou en deux-roues.
«Chouf». Pour les recruter, les trafiquants n'ont qu'à se pencher au pied des barres d'immeuble pour appâter l'un des jeunes résidents. Alfeïni n'a que 21 ans quand il est recruté. Devant la juge, il a reconnu avoir joué les guetteurs durant un mois à la Castellane, pour le compte du réseau «de l'entrée». Son poste de surveillance se trouvait juste à côté du camion à pizza. S'il a accepté cette activité en plus de ses missions pour une société d'intérim, c'était pour payer son permis de conduire. Dès qu'il a eu l'argent, il a arrêté. «Je n'ai jamais volé, je préfère faire le guet que voler», a-t-il expliqué à la présidente du tribunal. Pour devenir guetteur - ou «chouf», leur autre nom -, pas besoin de qualification particulière. Il suffit d'avoir du temps et une bonne vue. Chacun doit ainsi assurer la sécurité dans un périmètre précis, sur lequel deux ou trois veilleurs tournent en roulement. C'est le vendeur qui organise lui-même sa sécurité et donc le déploiement des guetteurs.
«Ara». Une fois postés, il leur suffit de garder les yeux ouverts et relever le moindre détail : une voiture qui roule bizarrement, un client au comportement anormal… Mieux vaut aussi être un peu physionomiste pour se faciliter la tâche. «A force de se faire contrôler par les policiers, on finit par les reconnaître», souligne Alfeïni. Le reste relève de l'expérience : «Ça va être une attitude, un geste, mais je ne veux pas dire lesquels, élude-t-il. Dès que l'on voit une personne suspecte, on le signale, c'est tout. Si on a un doute, on crie quand même.» Et pas n'importe comment : à la Castellane comme ailleurs, on hurle «Ara ! Ara !» pour signaler la présence potentielle d'indésirables.
A la fin de la garde, c'est le vendeur qui vient porter la paye : 50 euros par jour généralement, la somme pouvant varier en fonction de la taille du réseau et de la configuration de la zone à surveiller. Le travail s'arrête là. Si les guetteurs qui circulent à deux-roues prennent parfois en filature dans la cité une cible, leur rôle s'arrête théoriquement au signalement. «C'est vraiment de l'argent facile, reconnaît Alfeïni. C'est le seul argent facile, d'ailleurs, parce qu'à l'échelon au-dessus, ce n'est plus simple du tout.» Aboudou, lui, a demandé à «passer vendeur» après six mois de vigie. D'un salaire de 60 à 80 euros par jour, il est monté à 100 euros. La peine encourue, elle, reste la même, quel que soit l'échelon : un guetteur risque jusqu'à dix ans de prison.