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Libération
Enquête

La bérézina du Planning familial varois

Luttes internes, difficultés financières et gestion contraire aux idéaux militants ont eu raison de l’association dans ce département où les femmes peinent de plus en plus à accéder à l’IVG.
(Photo Plainpicture)
publié le 28 septembre 2015 à 19h16

Au bout de la ligne du centre du Planning familial de Toulon, le téléphone sonne dans le vide. Son site, qui recensait entre autres tous les endroits du département où il était possible de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG) ou d’obtenir un moyen de contraception gratuitement, est désormais inaccessible. Les conseillères conjugales et gynécologues du centre ont dû ramasser leurs affaires, quitter les lieux et annuler leurs rendez-vous pris jusqu’au mois de novembre.

Pour la première fois en plus de cinquante ans d'histoire, un département français se retrouve sans Planning familial. Celui du Var a été désavoué par son grand frère national et s'est vu refuser le droit de se réclamer de la grande famille Planning en juin, ce qui a précipité sa chute. Mis sous mandat judiciaire, il n'a pas su trouver de repreneur après la démission, dans la foulée, de sa directrice ainsi que de son conseil d'administration. Le clap de fin a été donné début août, quand l'association, asphyxiée par les difficultés financières, a été placée en liquidation judiciaire. De son propre aveu, la Confédération nationale a préféré «ne pas communiquer ni s'étaler sur cette affaire».

Et pour cause, la radiation d'un Planning qui touchait plus de 15 000 personnes par an, dans un département comme le Var, où l'accès à l'IVG et à la contraception est déjà problématique, peut interroger. Paris invoque des «fautes graves», sans pour autant entrer dans le détail.

Fermeture. Sur place, les gynécologues sont fous de rage. «C'est catastrophique. On vit dans une période où on revient sur les acquis des années 70. Là, on a un département entier avec des mineures qui n'ont plus d'accès à la contraception gratuite ! s'agace le docteur Patrick Amar, à l'hôpital de Draguignan. Parfois, on a l'impression de voir quelqu'un au bord de la falaise sur le point de tomber, et on a beau gueuler, ça ne sert à rien.» Le gynécologue, qui a vu doubler ses actes d'IVG en deux ans - «car de moins en moins de confrères jouent le jeu, et refusent de pratiquer les interventions» -, s'inquiète du climat ambiant quant à la protection des femmes.

En théorie, le conseil général assure aussi un service de planification familiale. C’est d’ailleurs vers ce centre, situé dans l’hôpital de Toulon, que sont réorientées les jeunes femmes. Avant la fermeture définitive du Planning 83, les salariées ont scotché un plan sur la porte pour indiquer le chemin vers les locaux de la permanence de l’hôpital, située quelques rues plus loin. Mais ces «centres de planification familiale», gérés par le département et non par l’association fondée en 1960, n’offrent pas la même écoute. En tant que militantes dans un mouvement pour le droit des femmes, les conseillères du Planning sont formées à écouter les jeunes filles qui se présentent dans les locaux, déceler des traces de violences, déculpabiliser les usagères quant à l’IVG, instruire sur la contraception.

« Ils font ce qu'ils peuvent, au conseil général. Mais ce sont des administratifs, pas des militants. Ils ont des horaires, c'est carré, c'est très, très loin de l'ambiance réconfortante du Planning, glisse une ancienne salariée du centre varois. Chez nous, par exemple, quand une femme arrivait en limite de délai légal, on se débrouillait pour faire le plus vite possible. Sinon, on prenait rendez-vous en Espagne ou en Angleterre pour elle. On a nos réseaux de militants, ce n'est pas forcément le cas pour le conseil général.»

D'autant que le service départemental, faute de moyens, est déjà débordé. Le docteur Catherine Fohet, qui assurait des permanences dans les deux centres - celui du Planning mais aussi celui du conseil général -, essaye en vain d'absorber le surplus de consultations depuis la fermeture du Planning 83. «J'essaye d'arriver un peu plus tôt, je m'organise différemment… J'ai sollicité ma hiérarchie pour leur dire que ça n'allait pas le faire, ils m'ont proposé une vacation supplémentaire, mais sur un petit créneau horaire.» Le conseil général, lui, souligne «qu'il fera de son mieux pour continuer à assurer les missions de droit des femmes». Mais, faute de moyens supplémentaires, la tâche s'annonce difficile.

Dans la salle d'attente, désormais, il «faut faire le tri», assure Catherine Fohet. «On essaye de garder les mineures, mais les autres, les étudiantes qui s'étaient habituées à venir… eh bien, il va falloir qu'elles s'émancipent.» La gynécologue, débordée, s'inquiète pour la situation globale du département. «Le Var n'était pas forcément au mieux des statistiques des IVG, et là… Il va y avoir une vraie perte pour les filles sur l'info et la sexualité.»

«Crédibilité». Concernant les raisons exactes de la radiation du Planning 83, les faits invoqués sont flous. Au siège de l’association, à Paris, on explique de façon succincte que «l’association du 83 ne pouvait plus remplir les missions qui relèvent du mouvement sans porter atteinte à la crédibilité de l’ensemble du Planning familial». Gilles Le Beuze, président du Planning voisin des Bouches-du-Rhône, a suivi de près l’enquête sur les luttes internes au Var. «Ce n’est vraiment pas une décision qu’on a prise de gaieté de cœur. On sait à quel point cela va créer des difficultés pour les jeunes femmes dans le département.» Il invoque «de graves problèmes de démocratie au sein de l’association», des plaintes pour harcèlement moral aux recours prud’homaux contre la directrice, des fermetures intempestives du centre et un manque global d’engagement militant. «Il ne faut pas tout cristalliser autour de la présidente, Xxxx, met-il cependant en garde. Toulon est une petite ville, ce qu’il s’est passé s’est répandu comme une traînée de poudre avec un tas de ragots.» Dans la presse locale, un «clan Xxxx» est évoqué, avec son lot de népotisme et de gestion douteuse. Des accusations que récuse l’ancienne présidente, qui s’estime victime d’un «procès stalinien». «Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage», réplique-t-elle.

D'anciennes salariées du Planning évoquent de leur côté une «dérive idéologique» durant les dernières heures de l'association. «Evidemment, la fermeture rend la situation beaucoup plus difficile pour les femmes. C'est malheureux, mais ce n'était plus possible de continuer comme ça. On n'était plus dans les normes "Planning familial" et dans ses engagements féministes. On ne pouvait plus cautionner ce qu'il se passait.» Cette retraitée, qui assure que la fermeture du centre est due à tout «sauf à une banale lutte intestine», revient en détail sur une «dérive par une influence négative» au sein du centre.

D'abord, il y a eu l'embauche d'une conseillère conjugale formée par le Centre de liaison des équipes de recherche sur l'amour et la famille (Cler), mouvement catholique de planification familiale. «Elle n'avait pas du tout la même vision que nous sur la contraception, sur l'IVG. Elle avait un discours beaucoup plus culpabilisant. En vingt ans, c'est du jamais vu au Planning.» Puis l'arrêt des stages d'«objectifs et motivation» pour prévenir de l'aspect militant des valeurs. «D'un coup, rien a été fait par les nouveaux arrivants du conseil d'administration, ils ont été balancés là sans connaître le mouvement. Je pense que c'est surtout devenu un lieu dans lequel on passait pour la carte de visite.»

Véronique Séhier, coprésidente du Planning national, refuse de parler de dérive idéologique et évoque «un service de mauvaise qualité». «Il ne suffit pas de dire qu'on est pour l'IVG et le droit des femmes. Si on n'est pas formée, ça peut vite déraper. Si on avait laissé pourrir la situation, alors oui, peut-être qu'il y aurait eu des dérives.»

«Flambeau». Sur place, plusieurs acteurs craignent que le vide laissé par le Planning ne soit occupé et rapidement instrumentalisé par les associations conservatrices de la région. «On a transformé ça en affaire judiciaire, on a fermé la porte et on n'a rien reconstruit derrière», s'insurge le docteur Amar. «Si on ne fait rien, on laisse la porte ouverte aux idéolog ues et aux abrutis.»

A la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), on se veut rassurant : la situation ne sera que temporaire. «On met tout en œuvre pour remonter quelque chose très vite. On vient de lancer un appel à projet pour qu'une ou plusieurs associations reprennent le flambeau. On est très optimistes», assure Arnaud Pouly, directeur de la DDCS du Var.

Mais Elsa Di Méo, opposante PS à la mairie Front national de Fréjus, s’inquiète déjà du positionnement de certaines associations catholiques dans le Var concernant le droit des femmes. «Ils ont déjà commencé à investir le champ. Mais c’est totalement normal, puisqu’il a été vidé.» L’élue ne parle pas de complot, et «ne pense pas que la chute du Planning ait été organisée» mais s’interroge tout de même sur les «coïncidences». «On a du mal à croire que c’est du hasard, vu le climat d’offensive contre toutes les associations familiales progressistes dans le Var.» Pour elle, la fermeture du Planning constitue une nouvelle défaite dans «la bataille culturelle et idéologique contre les idées réactionnaires contre le droit des femmes».

«IVG, mon choix, mon droit». Quarante ans après la loi Veil, les femmes rencontrant encore des difficultés d’accès à l’IVG, un numéro vert pour que chacune connaisse ses droits et soit guidée a été mis en place lundi par le gouvernement. Ce numéro anonyme et gratuit (0 800 08 11 11) concerne les sexualités, la contraception et donc l’IVG. Géré par le Planning familial, il est accessible 6 jours sur 7 (le lundi de 9 heures à 22 heures et du mardi au samedi de 9 heures à 20 heures). Des plateformes téléphoniques régionales existaient déjà mais elles étaient inégalement réparties sur le territoire et mal identifiées. La création de ce numéro va de pair avec une campagne nationale qui affirme :«IVG, mon corps, mon choix, mon droit.»