«Il n'y aura pas de brutalité. Si les avocats ne veulent pas qu'on réforme, on ne réformera pas.» Très décontractée comme elle sait l'être, la Garde des sceaux, Christiane Taubira, a répondu mercredi après-midi lors de la présentation du budget 2016 de la justice aux questions sur le bras de fer qui l'oppose aux avocats concernant la réforme de l'aide juridictionnelle — un des volets importants de ce budget, en hausse de 1,3 %, avec 1 024 emplois créés. Le système de l'aide juridictionnelle (AJ), fondé en 1972, repensé en 1991, permet l'accès à la justice des personnes ayant un faible revenu. L'Etat paye leur avocat, qu'il soit choisi ou commis d'office, selon un barème de rémunération dont les robes noires dénoncent depuis plusieurs années le faible niveau — le barème se fonde sur une unité de valeur (UV) qui correspond à une demi-heure de travail, et dont le tarif de 22,50 euros n'a pas bougé depuis 2007.
«L'un des axes de la réforme de l'aide juridictionnelle est justement de revaloriser la rémunération des avocats», a rappelé la ministre. Dans ses calculs, en effet, l'unité de valeur passerait à 24,02 euros. La Chancellerie voudrait également élargir le nombre de justiciables éligibles à l'aide juridictionnelle : le plafond des ressources maximum permettant d'accéder à une prise en charge totale serait de 1 000 euros, et non plus 941. Elle voudrait, enfin, augmenter le budget global de l'AJ, depuis longtemps sous-dimensionné, qui passerait de 375 millions d'euros à 405 millions en 2016, puis 445 millions en 2017.
Là où le bât blesse est que la Chancellerie a prévu de faire participer les avocats à cet ensemble d'efforts budgétaires. Le ministère envisage en effet de prélever une partie des fonds dans les Caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats (Carpa). Ces caisses gèrent l'argent détenu temporairement par les avocats pour le compte de leurs clients. Et génèrent des flux financiers que l'Etat aimerait ponctionner pour l'AJ : le projet prévoit un prélèvement de 5 millions d'euros en 2016 et 10 millions d'euros en 2017. «La profession refuse de payer pour le budget de l'AJ alors qu'elle le fait déjà de manière considérable par son investissement auprès des justiciables pour des indemnités misérables», a déclaré Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux (CNB), à l'AFP. Le Syndicat des avocats de France (SAF) a appelé à une manifestation le 9 octobre et, «à défaut d'être entendus», à une grève de l'AJ à partir du 12 octobre. Le CNB a voté à l'unanimité «contre toute contribution financière directe» au budget de l'AJ.
«Nous avons dix ans de rapports qui expliquent que le système de l'aide juridictionnelle est à bout de souffle et va s'effondrer, a répondu mercredi Christiane Taubira. Si on n'arrive pas à faire cette réforme, les avocats auront raté le seul Garde des sceaux qui aura voulu consolider l'AJ en concertation avec eux. Mes prédécesseurs n'ont pas voulu y toucher, maintenant je comprends pourquoi !»