Et si la seule vraie controverse climatique - faut-il ou non contenir nos émissions de gaz à effet de serre et donc notre usage des combustibles fossiles - concernait… l’économie ?
Côté climat, l’affaire semble pliée. La montée continue des températures, avec un nouveau record annuel probable en 2015, battant ceux de 2014, 2010 et 2005, ridiculise les slogans des climato-sceptiques. Et les véritables controverses entre scientifiques spécialistes du climat portent sur la survenue de risques allant bien au-delà de ceux présentés par les rapports du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Lorsque les boîtes à courriels et les téléphones chauffent dans les labos, c’est qu’on s’étripe sur le risque d’une déstabilisation des calottes polaires, avec le risque d’une montée du niveau marin de plusieurs mètres. Et non sur un miracle naturel qui annulerait l’effet climatique de nos émissions massives de gaz à effet de serre.
Côté discours politique et médiatique, l’affaire semble presque pliée. La prise de conscience du risque représenté par un dérapage climatique rapide au cours de la seconde moitié du siècle se renforce dans la plupart des pays et cercles dirigeants y compris dans l’industrie. La transmission de l’expertise collective du Giec vers les gouvernements et de larges couches des sociétés semble avoir fonctionné pour ces deux volets - le climat va changer et cela représente un risque considérable - qui correspondent à deux de ses trois groupes de travail.
Mille milliards de tonnes de CO2
Côté économie, et prises de décisions concrètes, traitées par le troisième groupe du Giec, l’affaire semble en revanche très mal partie. Ainsi, les «promesses» d’actions envoyées par les gouvernements au secrétariat de la Convention climat des Nations unies pour la préparation de la COP21 à Paris restent très loin de l’objectif fixé depuis la COP15 de Copenhague en 2009.
Cet objectif s’exprime d’abord en termes climatiques. Pas plus de 2°C d’élévation de température moyenne de la planète (1) par rapport au niveau préindustriel. Un niveau qui ne représente pas une absence de danger, mais plutôt un seuil au-delà duquel les transformations seront si rapides et si fortes qu’elles pourraient dépasser la capacité des sociétés à s’y adapter. Or, nous en sommes déjà à près de 0,85°C au-dessus des températures de 1750. Cet objectif se traduit ensuite en tonnes de gaz à effet de serre à ne pas émettre dans l’avenir. Combien ?
Pour se donner une chance raisonnable de ne pas dépasser les 2°C, il faut, indique le Giec, ne pas émettre plus de mille milliards de tonnes d'équivalent CO2 au cours du siècle. Ce chiffre peut impressionner mais il ne correspond qu'à «vingt-cinq années des émissions actuelles» (2), souligne l'économiste Pierre-Noël Giraud (professeur à Mines Paris Tech). Les ressources sont là. Selon le World Energy Council, les réserves prouvées en pétrole (225 milliards de tonnes), charbon (890 milliards de tonnes) et gaz naturel (210 000 milliards de m3) correspondent à 4 000 milliards de tonnes de C02. Et sans compter les hydrocarbures de roches-mères dits souvent «de schiste».
Seront-elles trop chères à exploiter ? Non. Les prix du charbon et du gaz sont bas et peuvent le rester plusieurs décennies. Quant au pétrole, il n’ira pas durablement très au dessus de 100 dollars car, à ce prix, la transformation du charbon en carburants liquides devient rentable à grande échelle. Ni les ressources ni les prix ne peuvent donc obliger à la sobriété, conclut Pierre-Noël Giraud. Que faire ? C’est là que les économistes divergent sur les moyens, tandis que les gouvernants contredisent, par les politiques énergétiques qu’ils conduisent chacun dans leur pays, leur soutien à l’objectif climatique fixé en commun.
Gros appetits et petits calculs
L’origine réelle de cette contradiction est bien loin des accusations d’irresponsabilité ou de cupidité que les ONG lancent contre les gouvernants et les dirigeants industriels. La soif d’énergies fossiles des sociétés s’explique d’abord par leurs propriétés physiques et chimiques et par des coûts directs peu élevés. Elles sont utilisées pour l’agriculture, l’industrie, les transports, la construction des bâtiments et leur chauffage ou leur climatisation, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de l’électricité qu’elles produisent dans les centrales à charbon et à gaz naturel. Se nourrir, se loger, avoir un emploi, utiliser les engins motorisés et les appareils électroménagers… autant de raisons de recourir au charbon, au gaz et au pétrole.
Depuis un siècle, les sociétés qui affichent les plus hauts niveaux de vie et indicateurs de développement sont, en général, celles qui utilisent le plus ces énergies, et donc émettent le plus de CO2 et de méthane. Les inégalités entre pays et entre groupes sociaux à l’intérieur des pays, sont donc directement reliées à la consommation inégale d’énergie.
Pierre-Noël Giraud souligne que, pour être acceptable, la politique climatique doit réaliser une «condition sine qua non» : être équitable. Et reposer sur la recherche d'une convergence mondiale vers les émissions compatibles avec la stabilisation du climat, soit 2 tonnes de gaz à effet de serre par habitant et par an. Les Etats-Unis d'Amérique en sont à 16 tonnes, la Chine à 5, l'Inde à 1,7, l'Ethiopie à 0,1. Les instruments de politique économique - taxes, marchés - comme les outils réglementaires ne peuvent être identiques partout, puisque les situations sont radicalement différentes. Une taxe carbone mondiale de 30 dollars la tonne de CO2, légère pour le consommateur européen, doublerait le prix du parpaing utilisé par les habitants des bidonvilles d'Inde ou d'Egypte pour «consolider leurs baraques», écrit-il. Surtout, la convergence mondiale suppose une diminution drastique des consommations d'énergie fossile et de biens matériels en général des plus riches, individus comme pays, pour lesquels la «croissance verte» n'est qu'une illusion.
(1) Mesurée à un mètre au-dessus des sols et à la surface des océans.
(2) Dans Le climat va t-il changer le capitalisme ?, éditions Eyrolles, juin 2015, 269 pp., 17 €.