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Libération
Analyse

Merkel-Hollande, un couple paralysé pour une Europe en berne

Le président français et la chancelière allemande doivent s’exprimer ce mercredi devant le Parlement de Strasbourg.
Angela Merkel et François Hollande à l’Elysée, l’année dernière. (Photo Marc Chaumeil)
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant et Laure Bretton
publié le 6 octobre 2015 à 19h56

C’était au lendemain du 13 juillet, à l’issue d’un sommet européen dramatique au cours duquel on a frôlé le «Grexit». Ebranlé par six mois de négociations tendues avec Athènes, conscient de l’image désastreuse donnée par une Europe qui aurait humilié la Grèce à la suite d’un «diktat» allemand, François Hollande, le 14 juillet, a promis de s’attaquer aux dysfonctionnements de la zone euro, notamment en instaurant un Parlement chargé de la contrôler et un budget destiné à venir en aide aux pays en difficulté. L’Elysée s’est ensuite activé auprès des médias, leur annonçant une grande initiative pour la rentrée sur un renforcement de la gouvernance économique.

En septembre, lors de la conférence de presse semestrielle du chef de l’Etat, on n’a finalement rien entendu. Sinon Hollande se concentrant sur la question des réfugiés. Une répétition de la séquence du printemps 2013, lorsque le Président avait déjà annoncé des propositions de réformes de la zone euro qui ne sont jamais venues.

Mutisme

Depuis son élection, en 2012, Hollande joue au chat et à la souris avec le sujet européen, par crainte à la fois de fâcher son partenaire allemand, qui a une vision de l’avenir européen radicalement différente, et, surtout, de relancer le débat hexagonal sur l’Europe, dont il a vu, en 2005, avec le référendum sur la Constitution européenne, qu’il pouvait avoir des effets explosifs. Il s’applique donc, depuis trois ans, à ne pas sortir des aimables généralités sur l’Europe, comme il devrait le faire ce mercredi à Strasbourg devant le Parlement européen, où il prendra la parole avec la chancelière Merkel sur le thème des valeurs européennes. L’Elysée a prévenu : il n’y aura aucune annonce programmatique…

Ce mutisme présidentiel donne l’impression que le couple franco-allemand est désormais déséquilibré au profit d’une chancelière qui sait ce qu’elle veut et surtout ce qu’elle ne veut pas. Autrement dit, alors qu’il y a une parole politique forte outre-Rhin, il n’y a pas vraiment d’équivalent dans l’Hexagone. Bien que des projets d’évolution de la construction européenne aient été envisagés avec le SPD allemand (sociaux-démocrates), il leur manque l’onction présidentielle pour devenir une base de négociations avec Berlin. Même si Angela Merkel et son puissant ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, tous deux membres de la CDU (chrétiens-démocrates), estiment que la zone euro peut fonctionner en pilotage automatique, chaque pays devant se contenter de respecter le règlement de copropriété de la monnaie unique (le Pacte de stabilité), ils sont d’accord pour introduire un contrôle parlementaire et ne sont pas fermés à davantage de solidarité financière entre les pays de la zone euro. Mais à une condition : que ces innovations majeures passent par une modification des traités européens, comme l’exige la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Et c’est là où ça coince : l’Elysée ne veut pas en entendre parler, par crainte d’être obligé d’organiser un référendum.

«A traité constant»

Le traumatisme de 2005 explique donc largement la prudence présidentielle. Ces contraintes réelles ou supposées de politique intérieure ont donc remisé au placard les initiatives ambitieuses franco-allemandes, comme ont su en prendre Mitterrand-Kohl, Chirac-Schröder et, dans une moindre mesure, Sarkozy-Merkel. Pour autant, il serait inexact de croire que la France ne joue plus aucun rôle. Hollande tente d’innover à «traité constant», comme le veut l’expression consacrée, c’est-à-dire sans se lancer dans un Mécano institutionnel à haut risque. Paris a ainsi pesé avec succès pour que la Grèce reste dans la zone euro, alors que Berlin était favorable à une sortie ordonnée, et pour qu’elle bénéficie d’un troisième plan d’aide, dont l’Allemagne ne voulait pas. En réalité, depuis le début de la crise de la zone euro, Berlin s’est montré d’une souplesse remarquable, acceptant à peu près tout ce qu’elle refusait d’abord, de la création du Mécanisme européen de stabilité à l’Union bancaire. Mieux, l’Allemagne s’est accommodée de l’évolution doctrinale de la Banque centrale européenne qui a jeté par-dessus bord l’héritage de la Bundesbank en rachetant à tour de bras les dettes publiques (60 milliards par mois). Autant d’évolutions qu’il n’a pas été facile de faire accepter par le Bundestag et l’opinion publique allemande. Le problème, c’est qu’on arrive à la limite de l’acceptable pour l’Allemagne.

Cette prudence de Hollande devient suicidaire. Ainsi, pour ne pas modifier les traités, la France voudrait faire d’un Parlement européen limité aux députés membres de la zone euro l’instance de contrôle (forcément consultative sans modification des traités) de la zone euro. Mais sa composition est tout sauf démocratique, les grands pays étant sous-représentés : alors qu’il faut 70 000 Maltais pour élire un député, 883 000 Français sont nécessaires… Enfin, ce refus de s’emparer du sujet européen laisse le champ libre aux eurosceptiques et aux europhobes qui peuvent à leur aise dénoncer cette Europe technocratique, égoïste et coupée des peuples.

Jean-Marc Ayrault : «Il faut tenir bon sur les valeurs»

«Le couple franco-allemand fonctionne bien aujourd'hui. Il s'est construit, depuis le début du quinquennat de François Hollande. Notre relation avec l'Allemagne a pu être déséquilibrée, notamment pour des questions économiques, et il faut toujours un peu de temps pour que des dirigeants apprennent à se connaître. Même si certains ont été tentés par d'autres alliances, comme Gerhard Schröder quand il s'est tourné vers Tony Blair dans les années 2000, on en revient toujours à la nécessité d'un accord franco-allemand, à cette alliance majeure au cœur de l'Europe. C'est le sens de l'histoire. Jean Monet disait que l'Europe ne se construisait que dans les crises. C'est malheureusement très souvent le cas, comme le prouvent les crises ukrainienne ou grecque. Cet été, alors qu'elle semblait pencher pour le Grexit, Angela Merkel a choisi l'Europe et le président français n'y est pas pour rien. Entre eux deux, tout se fait par petites touches. L'Europe traverse un moment difficile avec l'arrivée massive de réfugiés. Il faut que le bloc franco-allemand tienne bon sur les valeurs et c'est pour ça que les discours de Strasbourg [mercredi] sont hautement symboliques, comme l'avaient fait Mitterrand et Kohl en 1989. Parler d'une seule voix face aux égoïsmes nationaux et insister sur la solidarité qui est l'idée même sur laquelle s'est construite l'Union européenne, c'est ça le rôle du couple franco-allemand.»

Recueilli par Laure Bretton

Nicolas Barotte, journaliste (1) : «Pour l’intérêt de l’Union, ils ont fait le deuil d’une éventuelle complicité personnelle»

«A Berlin, on parle d’un tandem et non d’un couple franco-allemand. La dimension affective existe moins. La relation avec la France a une valeur certaine - parler français a longtemps été une condition pour entrer au ministère des Affaires étrangères -, mais il n’y a pas de comparaison permanente entre les deux modèles. Au début, Merkel n’avait ni l’envie ni l’intention de prendre Hollande au sérieux, jugeant que la France n’était pas au niveau sur le plan économique. En 2014, les deux dirigeants ont eu la même volonté de tourner la page. Merkel a compris que la «réorientation» de l’Europe réclamée par Hollande était un simple message électoral. Le discours économique de Hollandes’est merkelisé. Il pensait que, la chancelière réélue, l’Allemagne pouvait assouplir ses positions. Il a surtout saisi que, pour la convaincre, il ne fallait pas chercher la confrontation. Pour l’intérêt de l’Union, ils ont fait le deuil d’une éventuelle complicité personnelle, mais ont décidé de donner l’apparence d’une concorde.»

Recueilli par Laure Bretton

(1) Auteur de François et Angela, Nicolas Barotte, septembre 2015, Grasset, 19 €.

Daniela Schwarzer, du GMF (1) : «Ces dissensions sont la normalité de la relation franco-allemande depuis l’origine»

«Pour l’Allemagne, la relation franco-allemande n’a pas perdu en importance : elle reste la clé pour faire avancer l’UE. Mais le compromis n’est pas évident, car les points de départ sont rarement les mêmes, voire opposés. Par exemple, Berlin semble ne pas avoir demandé l’avis de Paris avant d’ouvrir ses frontières aux réfugiés. Plus grave, la gestion de la crise grecque, depuis cinq ans, a montré de profondes divergences d’approche. On peut donc considérer, de prime abord, que le couple franco-allemand fonctionne mal. Mais Berlin et Paris parviennent toujours à trouver un compromis. Ces dissensions sont en réalité la normalité de cette relation, et ce depuis l’origine. Ce qui a changé, c’est l’interconnexion de plus en plus grande entre les sujets externes et internes. La division des tâches, qui laissait l’international à la France et l’économie à l’Allemagne, n’est plus pertinente. Il est aussi vrai qu’aujourd’hui, l’Allemagne est plus porteuse que la France d’un projet, forcément très allemand, sur l’avenir de l’Europe. Mais elle n’a pas les contraintes de politique intérieure de la France - échec au référendum de 2005 et FN à 25 %.»

Recueilli par Jean Quatremer

(1) Directrice du Programme européen du German Marshall Fund.