Ils se voyaient en «Hells Angels» azuréens, de la trempe de ces motards californiens en cuir et Harley, réputés être de grands bandits. Mais du haut de leurs 17 à 19 ans, ils n’étaient que des gamins, un peu perdus, qui s’étaient inventé un «gang» dans la région de Nice. Celui des «Fenry», spécialisé dans le petit deal de shit et la revente de tee-shirts. Des ados «bikers» sans motos, ni même permis pour certains. Pourtant, c’est bien devant la cour d’assises des mineurs des Alpes-Maritimes que quatre d’entre eux sont jugés à des degrés divers, à partir de ce lundi, pour assassinat. Celui de Mayeul, leur chef de gang, décédé à 19 ans sous les coups de couteau - 32 selon l’autopsie - de ses «fidèles». Mais aussi pour la tentative de meurtre de sa compagne, lapidée, rescapée de cette histoire aussi sordide que pathétique.
Humiliations. L'affaire remonte à 2011. Les protagonistes ? «Des paumés affectifs, sans réflexion, racistes», selon Bernard Ginez, l'avocat du père de Mayeul, cité par Nice-Matin. Des gamins qui auraient agi sous l'effet de «la peur», selon les dépositions de Nicolas et Marvin, deux des inculpés. Celle que leur inspirait Mayeul, ado au crâne rasé qui se faisait appeler Karl. Aux enquêteurs, les deux jeunes «bikers» ont confié les humiliations que le leader assassiné, décrit comme dominateur, leur aurait fait subir. Mais aussi les menaces qu'il aurait adressées à l'encontre de leurs familles s'ils essayaient de quitter le clan.
Karl était le fondateur de ce groupe né en 2010 et baptisé «Fenry» en référence à un conte norvégien dans lequel un loup géant dévore le grand dieu Odin. Il avait fédéré une dizaine de jeunes de la région, qui se sont connus à l’école ou via Facebook. Des décrocheurs scolaires en rupture familiale pour la plupart, comme lui. Karl avait écrit les règles du «gang», compilées dans un carnet retrouvé chez lui par la police. Un règlement inspiré de celui des Hells Angels, ses modèles.
Chez les «Fenry», la hiérarchie s'organisait en trois grades, racontait Libération en 2013. Des épreuves permettaient de progresser de l'un à l'autre. Il fallait réussir des tests de résistance psychologique, comme la privation de sommeil. Ou physique : parcours du combattant, combats de boxe, sessions de tabassage orchestrées par les membres du groupe. Au printemps 2011, Nicolas subit ainsi la violence de ses pairs. Nu, une cagoule sur la tête, il est aspergé d'eau glacée. Pour le jeune homme, larbin régulier de Karl, pour qui il était tour à tour chauffeur, livreur, homme de ménage, c'est l'humiliation de trop. Il réussit à convaincre plusieurs membres du clan de se débarrasser du chef. «Il semble qu'ils avaient adhéré au groupe sur son charisme, puis n'ont plus supporté sa domination, son emprise psychologique», expliquait à Libération, en 2013, Eric Bedos, procureur de la République à Nice.
Le 27 octobre 2011, la bande décide de l’entraîner en voiture dans un endroit reculé près de Nice. Assis sur le siège passager, Karl reçoit une décharge de Taser, mais le gaillard d’1,95 m résiste. Alors Marvin, depuis la banquette arrière, lui assène plusieurs coups de couteau. Karl se débat, casse le levier de vitesse de la Peugeot 806 que Nicolas a empruntée à ses parents, avant d’agoniser. La voiture ne pouvant plus repartir, Aurélie, la compagne de Nicolas, est appelée à la rescousse avec son véhicule. Le corps est déposé dans le coffre et conduit dans une grange abandonnée près d’Isola 2000. Là, les complices creusent un trou et abandonnent le corps, qui ne sera retrouvé que quinze mois plus tard.
Viols. L'horreur ne s'arrête pas là. Sur le chemin, un des ados, Alexandre, appelle Emmanuelle, la petite amie de Karl. Sans méfiance, elle grimpe dans la voiture. Dans la grange, on lui assène des coups de pelle sur le crâne. Elle tombe dans le trou creusé pour dissimuler le corps de Karl. Le groupe lui jette de grosses pierres. Alexia, alors mineure, l'asperge de gaz lacrymogène «pour l'étouffer». Mais Emmanuelle parvient à s'extraire du piège malgré des dizaines de fractures, et les supplie de l'épargner. Ils finissent par la conduire à l'hôpital, lui faisant jurer de garder le secret. A son retour, surveillée de près par la bande, elle subit viols et tortures. Puis finit par se confier à une avocate, qui ne donne pas suite, note Nice-Matin.
L'histoire reste secrète plus d'un an. Le père de Karl - qui vit loin de Nice - s'inquiète du silence de son fils, mais les ados lui racontent qu'il a dû s'enfuir à l'étranger, à cause d'une «bêtise». C'est finalement Aurélie, l'amie de Nicolas, qui craque, en décembre 2012. Larguée par son compagnon, elle aurait pris peur lorsqu'il lui aurait dit : «Tu sais de quoi je suis capable.» Après ses révélations, quatre jeunes sont arrêtés le 7 janvier 2013, puis écroués. Ils passent aux aveux, et le corps est retrouvé. Les parents de Nicolas sont aussi poursuivis pour avoir détruit des traces dans leur voiture afin de protéger leur fils. Au total, pas moins de 46 témoins et cinq experts seront entendus lors de ce procès, qui durera quinze jours.