L'initiative est officiellement indépendante des manifestations prévues ce mercredi, mais elle est révélatrice du malaise grandissant chez certains policiers. Quatorze membres du prestigieux Service de la protection (SDLP, qui veille sur des hautes personnalités) vont porter plainte contre X notamment pour «harcèlement moral» et «mise en danger de la vie d'autrui». Une première dans une maison peu encline à saisir la justice pour régler ses bisbilles internes.
«Cela va au-delà du ras-le-bol», dénonce l'avocat des policiers du SDLP, Me Laurent-Franck Liénard, qui évoque une «bombe à retardement». Dans les tuyaux depuis plusieurs mois, la plainte devrait être déposée ce vendredi au parquet de Paris. Parmi les griefs des plaignants : des heures supplémentaires non comptabilisées, des brimades incessantes de la part de la hiérarchie et un rythme effréné qui ne permettrait plus d'assurer sereinement des missions de plus en plus délicates. Au risque de mettre en danger la vie des personnalités et celle des policiers eux-mêmes, soumis à des cadences infernales, en particulier depuis les attentats de janvier.
Mal perçu. Dans les rangs du service, tout le monde garde en mémoire la mort de l'officier Franck Brinsolaro, tué par les frères Kouachi alors qu'il assurait la protection de Charb. Mais place Beauvau, où on relativise sa portée, cette plainte est jugée peu représentative des états d'âme du service. Elle est d'autant plus mal perçue par les hiérarques policiers que le SDLP est loin d'être considéré comme le plus mal loti, contrairement à certains commissariats de banlieue. En haut lieu, on rappelle d'ailleurs que ce groupe d'élite reste l'un des plus demandés, mais aussi l'un de ceux où les effectifs ont été les plus renforcés depuis janvier. En tout, 120 fonctionnaires sont venus grossir les rangs, portant à environ 650 le nombre de policiers dédiés à la protection des personnalités. Et une cinquantaine de fonctionnaires supplémentaires devraient encore être recrutés d'ici le mois de mars. Des chiffres qui ne suffisent pourtant pas à dissiper le malaise. De fait, rarement le SDLP n'a été aussi sollicité que depuis les attentats visant Charlie Hebdo.
Le service protège en permanence 135 personnalités, mais le nombre de cibles potentielles a explosé ces derniers mois. En dehors des responsables politiques bénéficiant d’une protection de droit (le chef de l’Etat et les ministres) et des dirigeants étrangers voyageant temporairement en France, une trentaine de personnalités ont été ajoutées à la liste : patrons de presse, polémistes, juges, leaders religieux… Une situation fluctuante qui pose la question cruciale du choix des personnalités à protéger.
Nuancé. Sur le territoire français, le niveau de la menace est fixé par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) à partir d'éléments recueillis par les services de renseignement. Correspondant à un niveau de cotation précis, cette évaluation va de «T1» (menace avérée et imminente) à «T4» (pas de menace), mais ces catégories peuvent être nuancées. Chaque avis de l'Uclat, environ une dizaine par mois, est transmis aux techniciens du SDLP, qui en tirent les conclusions en termes de moyens de protection mis en œuvre. Le dispositif de base, un binôme de sécurité, peut monter à une dizaine de policiers pour les personnalités très exposées, comme le chef de l'Etat. En bout de chaîne, c'est le cabinet du ministre de l'Intérieur qui tranche.
Mais il arrive aussi que des protections accordées complaisamment provoquent l'ire des officiers de sécurité. Parfois, le dispositif devient une simple mesure d'accompagnement, qui participe au standing de la personne protégée. Une commission ad hoc se réunit périodiquement pour réévaluer la menace et faire le ménage le cas échéant. «Mais c'est comme pour Vigipirate, déplore un haut responsable policier. C'est facile à mettre en place, mais beaucoup plus compliqué à retirer.»