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A la barre

Procès Bonnemaison : «Nicolas n'a pas mis fin à des vies, il a raccourci des agonies»

Devant le tribunal d'Angers, Julie Bonnemaison, l'épouse de l'urgentiste qui comparait en appel pour avoir précipité la mort de sept personnes en fin de vie, a livré un témoignage poignant en faveur de son mari.
Julie et Nicolas Bonnemaison, au premier jour du procès en appel de ce dernier, avec ses avocats (à droite), le 12 octobre. (Photo Georges Gobet.AFP)
publié le 13 octobre 2015 à 17h04

Inséparables, ils sont arrivés, main dans la main, se tenant l’un à l’autre. Julie Bonnemaison ne lâche jamais son mari. Et ce, depuis le premier jour, le 10 août 2011, lorsque les policiers sont venus à l’hôpital de Bayonne pour arrêter son époux et le mettre en garde à vue.

Elle est comme lui : médecin. Elle, anesthésiste, lui, urgentiste. Autant elle est éclatante et vive, autant lui est réservé et austère. Lundi, en début de soirée, devant la cour d'assises d'Angers, elle a longuement témoigné pour son mari, accusé d'avoir empoisonné sept patients. «Depuis quatre ans, je ne sais comment dire, c'est l'impression d'avoir devant soi un immense mur infranchissable, on ne nous entend pas. A chaque fois que l'on arrive à faire un trou, on le rebouche. Et nous, on continue de se battre, d'y croire. [...] Ce qu'a fait Nicolas, c'est son métier de médecin. Il n'a pas mis fin à des vies, il a raccourci des agonies. Je suis désolée, mais nous, médecin, quand on n'y arrive pas, la mort fait aussi partie de notre métier. Nicolas n'est pas un assassin, c'est juste un médecin, et sa place est près des patients.»

L’hôpital, «parfois une cour d’école»

Julie Bonnemaison parle. Se lâche peu à peu. Comme dans la vie, elle réagit sans hésiter. A 45 ans, elle vit depuis plus de vingt ans avec son mari. Ils ont deux enfants. Quand elle parle, on sent comme un torrent de mots qui se déversent. Des mots directs, comme elle les pense. Des accents de parole bruts, qui tranchent avec les expressions policées de rigeur dans le monde de la justice. La vie à l'hôpital de Bayonne ? «C'est parfois comme une cour d'école». Elle raconte alors ces moments de tensions et de conflits, quand son mari était chef de service des urgences. L'hôpital de Bayonne est comme beaucoup de ces hôpitaux généraux où les personnes âgées sont nombreuses, où l'on meurt beaucoup, souvent dans des lieux mal appropriés. «Mon mari travaillait beaucoup, il a dû subir des dénigrements très durs. On disait qu'il était toujours du côté de l'administration. Vous savez, c'est le boulot du chef de service de composer avec l'administration, il a un rôle tampon.» Comme toujours, elle le défend : «Mais c'est quelqu'un d'extrêmement chaleureux, convivial, très rigoureux.»

En mai 2008, elle découvre que son mari a une liaison avec une cadre de santé du service. «Je suis abasourdie, je ne prends pas de décisions, je l'aime, je suis incapable de le quitter.» Il y a quelque chose d'impudique dans cette entrée judiciaire dans la vie intime d'un couple, si ce n'est que cette maîtresse sera partie prenante des dénonciations futures. C'est aussi à ce moment-là que le Dr Bonnemaison va craquer, et sera hospitalisé plusieurs mois en psychiatrie. Sa femme s'agace quand se glisse l'idée que son mari serait un être fragile. «Non, ce n'est pas un dépressif. La dépression, cela arrive, cela fait peur, mais qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ? Il y a des traitements, comme il y a des traitements pour le diabète, l'hypertension.»

Soirée entre «toubibs»

A la fin de son témoignage, elle revient sur un dîner particulier qui s'est tenu chez eux, avec d'autres médecins de l'hôpital, en juin 2011. Un dîner où ils vont parler des médicaments en fin de vie. Transparaît alors, au cours de cette soirée entre «toubibs», toute l'ambiguïté des notions de sédation, de décès médicalisé, de soulagement à la douleur : «On parle des produits à utiliser, des morphiniques mais aussi des curares (1), raconte Julie Bonnemaison. Je dis que le curare, cela se fait en fin de vie, je l'ai vu dans plusieurs services.» «Mais pourquoi le curare ?» interroge la présidente de la cour d'assises. «Cela entraîne un relâchement des muscles, et donc respiratoire, répond l'anesthésiste. Cela peut avoir un effet de soulagement […] En Belgique, ils l'utilisent dans l'euthanasie. Le patient est en fin de vie, on sait qu'il est en train de mourir, Nicolas s'occupait de ces patients-là.»

Pour elle, peu de doute, ce sont des patients qui n'étaient plus vivants. L'intention est claire. Elle le dit sans faux-fuyant, comme une évidence. «Vous savez, on a dû expliquer cela à nos filles… Ce n'était pas simple. On leur a expliqué comment on faisait avec les animaux, ils souffrent, ils vont mourir.» Elle se rend compte en parlant que l'exemple qu'elle a choisi est peut-être maladroit. Mais elle continue. Elle est ainsi, directe. Et chaleureuse.

(1) Le curare, en faisant baisser la force respiratoire, provoque le décès, sauf si le patient est mis sous respirateur.