La voilà, marchant à petits pas, presque reculant, si lente que la greffière doit se retourner pour vérifier qu'elle la suit bien jusqu'à la barre. Une femme que la cour d'assises attendait, tant on avait entendu parler d'elle pendant la première journée d'audience mardi. Celle que Tony Meilhon appelle tour à tour «ma salope de mère» ou «ma maman que j'aime». Jocelyne B., 60 ans, cheveux blonds courts, jolie coiffure et jolie robe bordeaux, regards au désespoir.
Elle avait pourtant fait savoir qu'elle ne viendrait pas. Pas question de se retrouver «accusée comme au premier procès, où j'ai été agonie.» D'ailleurs, elle l'avait écrit à son fils, Tony Meilhon, 36 ans, jugé en appel devant la cour d'assises de Rennes pour avoir tué puis découpé en morceaux Laetitia Perrais, 18 ans, en 2011, près de Pornic (Loire-Atlantique). «Ce drame épouvantable, c'est toi qui l'as commis, nous n'y sommes pour rien, tu es le seul coupable.» La visite mardi de policiers au domicile de Jocelyne B., les fonctionnaires lui expliquant qu'une convocation à témoigner en justice n'était pas facultative, lui a finalement fait changer d'avis. Elle souffle de douleur dans le micro. «Comment peut-on me reprocher d'être une mauvaise mère ?! Mes enfants, je les ai nourris, j'ai travaillé, j'ai tout fait.»
Dans une déposition ponctuée de soupirs, elle livre ses souvenirs de Tony, longtemps «petit dernier» de quatre enfants – elle aura plus tardivement une cinquième fille avec son second mari. Cet homme, Charles B., qui est toujours son époux, Tony ne l'a «jamais accepté». Tout comme il n'a pas supporté la séparation de ses parents et le départ de son père. «Tony a vite réalisé qu'il y avait quelqu'un à la maison qui remplaçait papa, et qui contrôlait la situation, dit la mère. Il est devenu difficile. Il se sauvait des écoles. Parfois, il était très gentil, calme, doux, aimant. Parfois, c'était tout le contraire. J'ai été voir un psychologue. On m'a dit qu'il fallait que je le place.» A l'arrivée du beau-père, les frère et sœur aînés de Tony décident de quitter la maison, à 16 et 17 ans. Tony, lui, âgé de 8 ans, voit ses résultats scolaires dégringoler, alors qu'il était parmi les premiers. Vient ensuite la délinquance : premiers vols et violences à 11 ans. Puis le placement en foyer annoncé par la mère, à 13 ans. A 15 ans, il entre en prison.
Le président lit une lettre écrite par Tony Meilhon à sa mère, à l'été 2011. «Ça fait trois ans qu'on ne se parle plus. Je t'aime encore, comme ma mère, comme la personne qui m'a mis au monde. Malgré les disputes, je voudrais t'entendre. Gros bisous à toi ma maman. Ton fils qui t'aime.» Le président interroge: «Vous n'avez pas répondu, pourquoi?» Madame B. s'emporte: «Parce qu'un jour il m'insulte, un jour il me dit qu'il m'aime. C'est pas comme ça la vie! La vie c'est on aime sa mère ou on l'aime pas.»
«Je suis humiliée!»
Un avocat des parties civiles s'approche timidement. Il évoque à voix faible les rapports sexuels de Jocelyne B. et son nouveau mari, qui auraient traumatisés, enfant, le jeune Tony. L'accusé, en effet, a expliqué à son premier procès qu'il entendait le soir sa mère «gémir». Il entrait dans leur chambre. Elle le mettait dehors. Il revenait. Le beau-père se levait et le frappait. A l'évocation de ces souvenirs par l'avocat, Jocelyne B. se met à hurler: «Tony, t'es un gros menteur! C'est faux, entièrement faux. Je veux bien supporter qu'on dise des choses mais ça, jamais. Je suis humiliée!»
C'est au tour de l'avocate de Tony Meilhon de poser des questions. Elle lit un «compte rendu éducatif» du premier foyer où il a été placé. «A son arrivée, Tony avait un corps de petite taille. Il avait du mal à s'affirmer, il se retrouvait fréquemment agressé, et se mettait dans une position de souffre-douleur. L'année suivante, il reproduisait le comportement qu'il avait subi, en étant agressif avec les plus jeunes.» A présent assise sur une chaise qu'on lui a apportée, la mère souffle encore: «Pourtant ils étaient bien ces éducateurs…»
Tony Meilhon fait signe au président qu'il souhaite parler. «Quand j'étais petit, ma mère me disait toujours : tu es comme ton père. Elle me disait aussi que mon père était violent, colérique, alcoolique, malade mental et violeur…» Il se tourne vers la petite silhouette de sa mère: «Maman, tu te rappelles quand tu m'as retrouvé prostré dans une baignoire en rentrant de ton travail?» - «Non, j'ai pas souvenir de ça.» - «Ce jour-là, Monsieur B. regardait une vidéo pornographique dans le salon. Je suis rentré de l'école. Je lui ai dit que c'était dégueulasse ce qu'il faisait. Il m'a couru après. Il m'a frappé dans la salle de bain. Il m'a cogné la tête sur toutes les parois de la baignoire.»
La mère se tait un instant, se redresse. «Tony, je sais pas si tu inventes, mais tu n'y vas pas avec le dos de la cuillère. Ton beau-père n'avait pas le droit de te toucher, le seul que j'avais autorisé à te mettre des volées, c'était ton grand frère.» A nouveau, Jocelyne B. crie: «Quant à cette histoire de vidéo, il va falloir une enquête, parce qu'on ne peut pas lancer des accusations comme ça, on est salis!»
Tony Meilhon, lui, ne bouge pas, statue de cire, son pull beige pâle de la même couleur que son crâne rasé. Il a la même voix, douce, posée, depuis le début de son procès. «Maman, concernant les difficultés que tu as eues à mon égard, elles ne sont pas arrivées par hasard. Il y a eu beaucoup de tensions au sein du cocon familial. Tu avais un choix à faire. Tu avais un nouveau mari, un enfant dans le ventre. Et un fils de 8 ans qui n'acceptait pas. Tu étais entre cette nouvelle vie qui naissait et celle qui ne voulait pas s'effacer: moi, qui te rappelais mon père. Tu n'es pas responsable de tout ce qui m'est arrivé, mais tu as fait ton choix. Tu m'as mis en foyer.»