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Libération
Récit

Tony Meilhon, celui à qui on ne pouvait pas dire non

Obsédé par la peur de l’abandon et du rejet, l’homme condamné à la perpétuité en 2013 pour le meurtre de Laetitia Perrais, est jugé en appel à Rennes.
Croquis d’audience de Tony Meilhon. (Dessins Benoît Peyrucq. AFP)
publié le 16 octobre 2015 à 19h16

Au début de l'instruction, alors que les gendarmes recherchaient encore les morceaux du corps de Laetitia Perrais, Tony Meilhon leur chantait une horrible chanson : «Oh Laetitia, qu'est-ce que t'étais bonne, je me suis pas ennuyé oh la la, ton petit corps, ça vaut trente ans de prison. […] Oh Laetitia la gendarmerie n'a rien pu faire pour toi.» A l'époque, peu après les faits de janvier 2011, il n'avait qu'une identité, fièrement affichée : «Je suis un monstre», répétait-il, sans regrets. Et tout, ses cheveux longs noir de jais tirés en arrière, son teint blafard, ses provocations morbides, tendait à confirmer ce diable revendiqué.

«Monsieur X»

Depuis mardi, et jusqu'au 28 octobre, Tony Meilhon, 36 ans, est jugé en appel devant la cour d'assises de Rennes. Il a laissé tomber le monstre, pour se muer en sage repenti. Manières douces, politesses, crâne rasé, conversion à la religion musulmane, dont il vante la «paix intérieure», la métamorphose est impressionnante. Il est accusé d'avoir tué, le 18 janvier 2011, Laetitia Perrais, 18 ans, une apprentie serveuse qu'il venait de rencontrer le soir même à la Bernerie-en-Retz (Loire-Atlantique). Puis d'avoir découpé son corps. Ses aveux ont emprunté plusieurs chemins. La mort de Laetitia serait le résultat d'une collision involontaire entre sa voiture et le scooter de la jeune fille, un «accident», dit-il. Pour «la suite», il a assuré au juge d'instruction n'avoir aucun souvenir, s'être réveillé couvert de sang au côté de morceaux de corps humain. Avec les gendarmes chargés de ses transferts, il a été plus loin, reconnaissant être l'auteur du démembrement. «Je t'ai découpé les bras, les jambes, je t'ai découpé en six morceaux», dit sa chanson macabre. Mais à son premier procès, en 2013, marche arrière : c'est un certain «monsieur X», un «ami», qui s'est chargé de dépecer. Enfin, vendredi, droit dans son box, Meilhon distille une nouvelle révélation : «monsieur X» serait W., un copain de trafics que l'enquête a pourtant mis hors de cause. Le «rebondissement» laisse le président de la cour d'assises incrédule. W. sera entendu jeudi à l'audience, à la date initialement prévue. Lors de leur témoignage à la barre cette semaine, les enquêteurs ont martelé qu'«aucun élément ne laisse penser qu'une tierce personne soit intervenue».

«Vive discussion»

En janvier 2011, le fait divers avait fait grand bruit, parce que le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, avait hurlé au laxisme judiciaire. Tony Meilhon, qui était sorti peu avant de prison, aurait dû être convoqué par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Nantes et ne l’avait pas été. Difficile de penser que ce rendez-vous formel aurait pu changer quoi que ce soit à son crime. Le motif de la dernière incarcération de Meilhon (outrage à magistrat) tout comme les centaines de dossiers en attente dans le service débordé expliquent en tout cas qu’il n’ait pas existé.

Mais l'ire présidentielle n'est pas la seule raison de l'attention portée à Tony Meilhon. L'affaire Laetitia Perrais, c'est aussi la force de deux clichés opposés soudainement associés. Et une lancinante question : Pourquoi l'ange avec le démon ? Pourquoi Laetitia, jolie jeune fille «timide, sage, discrète» qui sort peu, «ne boit pas, ne fume pas», décide-t-elle de suivre Tony Meilhon, le délinquant multirécidiviste, cocaïnomane, enfermé treize ans pour «vol, violences, viol d'un codétenu» ? «Ils font connaissance le jour même sur la plage, a raconté le gendarme directeur de l'enquête, à la barre jeudi. Il lui propose de fumer du cannabis, elle accepte.» Puis Meilhon raccompagne Laetitia à l'Hôtel de Nantes, où elle travaille comme serveuse. Ses patrons aperçoivent le couple enlacé devant la grille.

Il revient chercher la jeune fille vers 22 heures, l'emmène dans un bar, le Barbe Blues. Puis un autre, le Key 46. Ils partent vers 23 heures, leurs portables déclenchent des relais du côté du domicile de Meilhon, hébergé dans une caravane chez un cousin. A 00 h 35, Laetitia envoie un texto à un ami. «Il s'est passé un truc grave.» A 00 h 58, elle lui laisse un message vocal. «Je me suis fait violer.» On la voit encore reprendre son scooter, avoir une «vive discussion» avec Tony Meilhon devant l'Hôtel de Nantes. Puis, plus rien. Son portable cesse d'émettre à 1 h 04. Son deux-roues est découvert accidenté le lendemain matin, ses ballerines gisant de part et d'autre. L'autopsie de son corps retrouvé des mois plus tard dans deux étangs, démembré et percé de 44 coups de couteau, montrera que Laetitia, vraisemblablement pour la première fois, avait consommé de la cocaïne. Du liquide prostatique de Tony Meilhon dans sa gorge prouve un rapport sexuel de fellation. «Laetitia, on a un peu du mal à s'expliquer son comportement ce soir-là», soupire le directeur d'enquête.

Enfance «assez douloureuse»

Pourtant, s'il creuse un peu, le gendarme ne manque pas de pistes pour comprendre cette mise en danger de la jeune fille. Son enfance, d'abord, «assez douloureuse», reconnaît-il. A 8 ans, en raison d'un «milieu familial violent», elle est placée en foyer. A 12 ans, en famille d'accueil, chez Gilles et Michelle Patron, à Pornic. Dans sa chambre, les enquêteurs ont retrouvé des courriers où elle écrit vouloir «en finir avec cette vie». Son amie Léa (1) leur a rapporté que Laetitia avait été violée par Gilles Patron. Que ce père de placement, reçu en grande pompe par Nicolas Sarkozy à l'Elysée, posant en pourfendeur des délinquants sexuels en tête des marches blanches à la mémoire de Laetitia, avait agressé plusieurs autres personnes. Dont Léa elle-même, et Jessica, la sœur jumelle de Laetitia. Le 28 mars 2014, Gilles Patron est condamné à huit années de prison pour viols et agressions sexuelles sur mineures.

Tony Meilhon, lui, a toujours affirmé que les relations sexuelles qu'il avait eues avec Laetitia étaient «consenties». «Il lui est impossible de se voir en violeur, expliquent les experts psys. Pour lui, c'est le pire des crimes, celui qui le renvoie à ce qu'a vécu sa mère.» Le frère aîné de Tony Meilhon est né du viol de sa mère par son grand-père. Sa jeunesse est marquée par ce «traumatisme» et par la violence. Son père, alcoolique, qui frappe sa femme et les frères et sœurs de Meilhon, quitte le foyer lorsqu'il a 4 ans. Le petit Tony, seul enfant que ce père «chouchoutait», souffre de son absence. Mais vit une courte période relativement idyllique, en fusion avec sa mère. Un beau-père arrive lorsqu'il est âgé de 8 ans. «Tony a réalisé qu'il y avait quelqu'un à la maison qui remplaçait papa, et qui contrôlait la situation», dit sa mère à la barre. «Ils ont décidé de se débarrasser de moi», corrige Meilhon, qui raconte les coups infligés par le beau-père. Ses résultats scolaires, excellents jusque-là, dégringolent. A 11 ans, il commet ses premiers actes de délinquance, vols, violences. A 13 ans, il est placé en foyer. A 15 ans, il est incarcéré.

«J’étais frustré»

Plusieurs anciennes petites amies de Tony Meilhon ont raconté son obsession de «l'abandon». Celui de son père, celui de sa mère, qui le rendent désormais «jaloux et possessif» dans ses relations sentimentales. «Tout le monde sait que c'est une personne à qui il ne faut pas dire non», soupire la mère de son fils (un garçon âgé de 11 ans et placé à l'aide sociale à l'enfance). Sa dernière partenaire raconte deux relations sexuelles forcées. Un soir, il lui a confié que «l'unique raison» qui pourrait le pousser à tuer serait «l'infidélité» d'une compagne.

«Je ne suis pas un violeur. Violer une femme, pour moi, c'est encore plus grave que de découper un corps», a répété Tony Meilhon au psychiatre Roland Coutanceau. En 2014, pourtant, après son premier procès, il a confié à l'expert que Laetitia avait «refusé» une pénétration, et que ce rejet avait «déclenché une violence» chez lui. «J'étais frustré», a-t-il avoué. «Cette reconnaissance, c'est une grande avancée», souligne Cécile de Oliveira, l'avocate de la sœur jumelle de Laetitia. Depuis bientôt cinq ans, la pénaliste n'a cessé d'interroger Tony Meilhon sur ce thème du rejet et de la frustration.

A son premier procès d'assises, à Nantes en 2013, il a été condamné à la prison à perpétuité, peine assortie de vingt-deux années incompressibles. A cette sentence, le jury a rajouté une création de l'ère sarkozyste : la rétention de sûreté, qui permet de garder les personnes réellement emprisonnées à vie. «Voilà pourquoi nous avons fait appel», dit Fathi Benbrahim, son avocat, qui n'espère pas autre chose du verdict que la suppression de cette rétention.

(1) Le prénom a été modifié.