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Libération
Témoignage

«Ces combats sont mon héritage»

Expression d’une joie face aux toiles de l’expo «Beauté Congo» à Paris.
par Abdoulaye Gassama
publié le 25 octobre 2015 à 17h16

Si je devais résumer en un mot mon sentiment à la sortie de l'expo «Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko», à la Fondation Cartier (lire Libération du 23 juillet), ce serait «ravissement». Le terme dit à la fois la joie, l'extrême contentement et l'arrachement (le rapt) aux conditions ordinaires de l'existence sociale. Cette joie est justement le thème d'une toile de JP Mika intitulée Kiese na kiese («le bonheur et la joie»). Une femme et un homme y dansent, main dans la main, le sourire aux lèvres sur un fond à motif floral. Si cette toile me parle et m'émeut tant, c'est avant tout pour son réalisme hyperbolique et son tour de force figuratif : rendre aussi réel qu'irréel ce sentiment. Joie figurée du tableau. Joie de la création, jubilation intérieure de l'artiste qui irradie sur l'objet peint. Joie de la contemplation : éternisation de l'instant. La joie que j'éprouve, c'est aussi cette liberté de l'imagination que m'offre le sculpteur Bodys Isek Kingelez avec ses maquettes de villes grandioses, cités idéales que les politiques auraient à charge d'édifier. Utopie de la ville, ce «lieu même du vacillement absolu» (Edouard Glissant). Ville-chaos. Chaos des objets quotidiens et utilitaires, chaos des matériaux, des formes, chaos des rebuts et débris transfigurés par la sensibilité créatrice d'un artiste. Ma joie, c'est enfin celle qui surgit face au spectacle admirable de la liberté. C'est à une révolution culturelle que me convie cette chronique des décennies agitées, dans l'ébullition du «Grand Soir» des indépendances. Ces combats d'hier sont mon héritage politique d'aujourd'hui, une mémoire vivante, une bouée de sauvetage et une lumière profuse contre ceux et celles qui privilégient l'ombre.

Photo Samuel Kirszenbaum