J’ai 23 ans et le rafistolage inespéré de mon parcours scolaire ferait pâlir Frankenstein. Je m’explique. A l’orée de la troisième, mes résultats sont cataclysmiques et c’est naturellement la voie professionnelle que l’on me présente. J’intègre un BEP couture. Pourquoi pas. Le lycée accepte mon dossier et son internat remplira mes vœux d’indépendance rebelle. Bien que je ne sois pas transportée par les cours, mes résultats remontent, ce qui me ravit.
Doucement, l'idée de m'orienter en filière générale germe. Péché d'orgueil ! En terminale pro, je m'applique dans ce rôle de bonne élève et pars découvrir le Centre de documentation et d'information, promesse de l'ascension convoitée. Je lis frénétiquement et, miracle, le goût arrive. Super ! Je fais part de mes brillantes ambitions au conseil de classe. Ricanements. Pourtant, mes résultats dans les matières générales sont bons et la passerelle inverse opère tous les ans. «Il faut assumer ses choix», dit-on. Je ris bien maintenant que je suis à la fac et que je vois les parcours tortueux de mes camarades : autant d'inconséquentes scolarités si l'on suit le raisonnement de ces drôles de pédagogues.
Deux professeurs changeront mon destin et après d’âpres batailles, je suis réorientée. La suite : Bac L avec mention, prépa et fac de lettres. Quand je parle de mon parcours, on me félicite, mais la satisfaction attendue n’est pas présente car la vantardise a ses limites. Cette revanche a un goût amer puisqu’elle ne reste qu’au stade de l’anecdote doucereuse, au lieu d’interroger réellement cette situation dans laquelle peuvent se noyer certains élèves. Il est immoral de dire à quelqu’un de 16 ans qu’il restera bloqué dans un chemin choisi à 14, sans possibilité de retour en arrière. Il est immoral de lui dire que les choix capitaux sont faits et que ses rêves impromptus doivent désormais être avortés. Il faut s’efforcer de croire à l’étincelle imprévue et aux enthousiasmes tardifs qui jaillissent des limbes. De là naissent la vraie flamme, l’intérêt non feint et le goût qui sont, me semble-t-il, les facteurs qui nous rendent le plus productif s’il nous faut parler de rentabilité pour être pris au sérieux…