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Libération
Merci de l'avoir posée

Manger trop de viande présente-t-il un risque mortel?

Une étude confirme un lien entre l’ingestion de trop grandes quantités de viande rouge ou transformée et le risque de cancer colorectal. Mais ses résultats sont à interpréter avec nuance.
Le nombre de ­décès dus à des cancers liés à la viande serait de 50 000 par an dans le monde. Rien, comparé au million de morts du tabac. (Photo Gerard Julien. AFP)
publié le 26 octobre 2015 à 18h26

Meurt-on de cancer parce que l'on mange de la viande, brute ou transformée ? C'est la question du jour, posée par la dernière étude du Centre international de recherche sur le cancer (Circ, basé à Lyon) publiée dans la très sérieuse revue The Lancet ­Oncology.

Réponse : si vous en mangez trop, c’est possible, à condition d’échapper à d’autres risques, beaucoup plus intenses, comme la cigarette, l’alcool ou la pollution atmosphérique… Et si vous en mangez vraiment très peu, c’est probablement parce que vous vivez dans un pays en voie de développement et que vous souffrez de sous-nutrition, comme plusieurs centaines de millions d’êtres humains, et que vous ne ­faites pas partie des populations qui font le choix de ­suivre un régime ­végétarien équilibré en nutriments.

Sur quoi porte l’étude ?

Il s’agit d’une «monographie», fondée sur une analyse ­collective de 800 études ­publiées antérieurement, ­et signée par vingt-deux experts issus de dix pays différents qui ont travaillé en­semble du 6 au 13 octobre. Leur mission, classer, ou non, comme «cancérogène probable ou avéré» la viande dite rouge – en fait toutes les viandes issues des muscles des mammifères (donc pas la volaille) – et la viande transformée, comme la charcuterie, qui comprend aussi la volaille ou les abats.

Quels sont les résultats ?

D’après la monographie, il existe des «indications limitées» montrant que la consommation de viande rouge est associée à la survenue de cancers colorectaux, en fonction des quantités ingérées : à partir de 50 grammes par jour. Le paradoxe de cette formulation, c’est qu’elle signifie que l’épidémiologie ne permet pas de l’affirmer de manière claire à elle seule. Mais que la connaissance des processus biochimiques en jeu soutient cette hypothèse. Il s’agit de mécanismes mo­léculaires survenant dans ­l’intestin une fois la viande ­digérée (1) et qui produisent des molécules génotoxiques et cytotoxiques impliquées dans la formation et le développement des cancers du colon. Pour les viandes transformées, en revanche, l’épidémiologie suffit à affirmer qu’elles sont des cancérogènes avérés. Les mécanismes molé­culaires, communs avec la viande rouge ou spécifiques liés aux composés nitrés présents dans la charcuterie, renforçant le diagnostic.

Ces résultats sont certainement robustes, en raison du mode de travail des experts du Circ. Jusqu’à présent, aucun des classements établis par cette méthode n’a été invalidé par des travaux ultérieurs.

Quels sont les risques sanitaires ?

Le classement du Circ ne porte toutefois que sur le «principe» de la cancérogenèse. Mais il ne dit rien de l’intensité du risque encouru, ni d’une hiérarchie des ­risques, ni des conséquences qu’aurait la décision de se protéger, par exemple, du ­risque de cancer colorectal lié à la viande en écartant totalement celle-ci de son régime alimentaire. Or c’est bien en effectuant ces comparaisons que l’on peut répondre à la question : «Est-ce grave docteur et que dois-je faire ?»

La conclusion «il ne faut donc pas manger de viande du tout», tirée de l’étude et généralisée à l’échelle mondiale serait ainsi criminelle, puisque des centaines de millions d’êtres humains seraient en meilleure santé s’ils avaient un peu plus de viande à leur menu.

A l’inverse, pour les populations des pays développés à l’agriculture très productive, le rôle d’une alimentation trop riche en graisse animale dans la survenue des maladies cardio-vasculaires, responsables d’un tiers des ­décès en France, est bien documenté. Le nombre de ­décès dus à des cancers liés à la viande serait, selon le Global Burden Project (une association indépendante), de 50 000 par an dans le monde. Rien, comparé aux millions de morts du tabac. Or la viande nourrit, pas la cigarette.

Comment informer les consommateurs ?

Ce nouvel épisode de l’information scientifique renouvelle l’interrogation sur la manière dont elle est transmise aux consommateurs et aux citoyens. Comment rédiger un titre sur une information aussi complexe ? A quel niveau la placer ? En une du journal, ce qui va inciter à une lecture catastrophiste souvent contredite par la lecture intégrale des articles ou dans des pages intérieures, où cette information sera traitée avec un moindre ­risque de surinterprétation ?

Le message à retenir de cette étude semble être de viser un niveau de consommation de viande plus élevé pour les ­populations en sous-nutrition et moins élevé pour ­celles où l’obésité est répandue en raison d’un régime trop riche en graisses et trop carné. Pas vraiment compatible avec un titre proclamant «la viande tue».

(1) A partir de l’hème qui transporte l’oxygène attaché à du fer dans le sang qui, associé aux liquides peroxydés issus des polyphénols et des lipides (par ailleurs bénéfiques).