La décision de prendre la fuite, Pascal Fauret dit l’avoir imaginée dès le 15 août. La veille, le tribunal de Saint-Domingue, en République dominicaine, venait de le condamner à vingt ans de prison pour trafic de cocaïne, infligeant la même peine à son coéquipier Bruno Odos. Après quinze mois de détention provisoire, les deux pilotes français étaient, depuis, assignés à résidence sur l’île dans l’attente de leur procès en appel, prévu dans deux mois. Interpellés dans la nuit du 19 mars 2013 à bord d’un Falcon 50 contenant 680 kilos de cocaïne, Fauret et Odos ont toujours clamé leur innocence, plaidant qu’ils ne savaient pas que la drogue se trouvait dans l’avion.
Rentrés en France samedi à la suite d'une mystérieuse exfiltration, ils se disent désormais «à la disposition» de la justice de leur pays. Les deux autres Français arrêtés en même temps, Nicolas Pisapia et Alain Castany, n'ont pas eu la même chance et sont toujours bloqués à Punta Cana, à la pointe est de l'île. Récemment fauché par une moto à Saint-Domingue, Castany risque une amputation et demande son rapatriement, perspective peu probable au vu des derniers rebondissements.
Bateau. Mardi, lors de sa première apparition publique depuis son retour, Pascal Fauret, 55 ans, a brièvement raconté l'enfer de ses trois ans sous les tropiques, l'enlisement de la procédure judiciaire, la vingtaine de renvois successifs, les quinze jours de cachot et la cellule de 6 mètres carrés dans laquelle ils étaient entassés à cinq. «On m'a rasé la tête», précise Fauret, les traits tirés, estimant avoir été condamné à Saint-Domingue «pour la seule raison» qu'il est français. Refusant d'en dire plus sur son exfiltration, l'homme parle sous le contrôle de son avocat, Eric Dupond-Moretti, venu renforcer la défense. Le célèbre pénaliste, qui a organisé cette conférence de presse dans son cabinet, martèle deux messages devant les caméras braquées sur son client. Un : les pilotes ne sont pas des fugitifs et se plieront aux convocations de la magistrate marseillaise en charge du dossier (lire page 5). Deux : il est hors de question d'évoquer les modalités de leur fuite, qui ne constituerait d'ailleurs pas une infraction au regard de la loi française. «Ce n'est pas la peine de fantasmer, s'emporte l'avocat en coupant un journaliste un peu trop curieux. Ce n'est pas une équipe barbouzarde payée par le gouvernement français.» Barbouzes : le mot est pourtant sur toutes les lèvres depuis que les premiers éléments ont fuité sur cette opération clandestine. Dès lundi soir, quelques minutes après l'annonce de leur évasion, plusieurs médias évoquent tour à tour une «équipe» puis un «commando». Des «copains marins» rencontrés par Fauret et Odos à l'époque où ils officiaient dans l'aéronavale. Parmi eux, un ancien des forces spéciales et deux ex-agents de la DGSE.
Concernant l’exfiltration elle-même, plusieurs informations contradictoires circulent. Selon une source proche du dossier, les deux pilotes auraient fui la République dominicaine par bateau pour rejoindre l’île antillaise franco-néerlandaise de Saint-Martin, avant de s’envoler pour la Martinique, puis de gagner la métropole par un vol régulier de la compagnie Air Caraïbes.
Zone d'ombre. Comment des suspects assignés à résidence ont-ils pu ainsi s'évanouir au nez et à la barbe des autorités dominicaines ? Une première explication tient au fait qu'ils étaient relativement libres de leurs mouvements, malgré la surveillance permanente de leur portable et les allées et venues de la police locale. Aucun lieu ne leur avait été formellement assigné. Ces derniers mois, selon nos informations, Pascal Fauret et Bruno Odos ont occupé au moins trois résidences différentes. Leur seule obligation, selon leur autre avocat, Jean Reinhart, était de pointer une fois par mois dans un commissariat de l'île. Une latitude qui a pu leur permettre d'organiser plus facilement leur fuite. «Techniquement, ce type d'opérations par la mer est relativement simple, explique à Libé un ancien de la DGSE. La principale difficulté a dû être de coordonner les différents protagonistes et surtout de trouver des papiers.» Leurs passeports ayant été confisqués par la justice dominicaine, plusieurs hypothèses existent sur ce point. Soit leurs contacts militaires ont pu leur procurer des doubles. Soit les pilotes ont simplement utilisé leur carte d'identité, suffisante pour rejoindre la métropole depuis les Antilles.
Reste à savoir si une telle opération, orchestrée par d'anciens agents, a pu être menée dans le dos des services officiels. L'affaire était suivie de près au ministère des Affaires étrangères, Laurent Fabius ayant lui-même protesté officiellement contre les multiples reports du procès. Mais le Quai d'Orsay a jugé bon de préciser que l'Etat français n'était «nullement impliqué» dans cette opération.
Autre zone d’ombre : le rôle de l’eurodéputé FN Aymeric Chauprade, dernier à avoir vu publiquement les pilotes avant leur exfiltration. Ce conseiller de Marine Le Pen, proche des milieux militaires, qui a aussi travaillé quatre ans avec l’ancien président dominicain, a tweeté une photo de lui en compagnie des deux pilotes prise quelques jours avant leur fuite. Certains évoquent même sa présence sur le bateau des fuyards. «Il était hors de question de les abandonner à leur sort», lâchera Chauprade, laconique à leur retour en France. Difficile d’en savoir plus tant les fausses pistes et les déclarations fumeuses sont légion dans ce genre de dossier. Comme dans toute les bonnes histoires de barbouzes.