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Libération
Interview

Matthieu Bonduelle «La France a pour principe de ne pas extrader ses ressortissants»

Ce juge d’instruction français éclaire pour «Libération» les mécanismes parfois obscurs de l’entraide pénale internationale, entre intérêts des Etats et accords bilatéraux.
Bruno Odos et Pascal Fauret face à la presse à l'issue de leur procès le 15 août 2015 à Saint-Domingue (Photo Erika Santelices. AFP)
publié le 27 octobre 2015 à 20h06

Juge d’instruction à Créteil, Matthieu Bonduelle a été amené à instruire un certain nombre de dossiers transnationaux, notamment de stupéfiants. Une expérience riche d’enseignements sur les mécanismes de la coopération judiciaire.

Dans le dossier Air Cocaïne, on a entendu dire tout et son contraire sur ce qu’aurait dû ou pu faire la France pour ses ressortissants. Sur quoi ces affirmations peuvent-elles se fonder ?

En matière d’entraide pénale internationale, il faut savoir que les règles diffèrent selon chaque binôme de pays concernés. Pour les pays de l’espace Schengen, un certain nombre de textes sont communs. Mais, dès que l’on s’en éloigne, la coopération est fondée sur des accords binationaux spécifiques : c’est le cas entre la République dominicaine et la France. Et seuls ces accords très précis définissent ce qui est possible ou non.

Cela dit, ce qui s'est passé dans ce dossier, à savoir la gestion judiciaire par le pays responsable de l'arrestation sur son sol, est ce qui se passe dans la plupart des dossiers dits «à fort retentissement». C'est plutôt pour des affaires moins sensibles que l'on assiste à ce qu'on appelle des «dénonciations officielles» : un pays contacte les autorités judiciaires françaises pour dire qu'il a connaissance de faits répréhensibles commis par un Français sur son territoire, et il demande à la justice française de s'en saisir.

La France peut-elle décider de renvoyer les deux pilotes en fuite en République dominicaine ?

A priori, non. La France a pour principe de ne pas extrader ses ressortissants, un principe que partagent d’ailleurs la plupart des Etats. Il y a une exception à cela : c’est lorsqu’un ressortissant français fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen. Ainsi, la France a accepté d’extrader en Espagne Aurore Martin, française et militante du parti indépendantiste basque Batasuna. Et ceci alors même que ce qui lui était reproché en Espagne n’était pas pénalisable en France. Mais, dans l’histoire de ces pilotes, on est loin de ce cas de figure : l’autre pays concerné est la République dominicaine, il n’y a pas de mandat d’arrêt européen.

S’ils ne sont pas extradés et qu’ils sont jugés en appel, en leur absence, à Saint-Domingue, pourra-t-on quand même les juger aussi en France ?

Il existe le principe du non bis in idem, qui interdit de juger deux fois les mêmes personnes pour les mêmes faits. Mais ce principe est plein de subtilités. On l'a vu par exemple dans le dossier Bamberski-Krombach, avec ce docteur allemand poursuivi pour le meurtre d'une jeune Française. La défense du docteur Krombach disait qu'il ne pouvait pas être jugé en France, car il l'avait déjà été en Allemagne. La justice française n'a pas retenu cet argument, car elle a considéré qu'il ne s'agissait pas exactement des mêmes faits. Je ne connais pas de l'intérieur le dossier des pilotes, mais il paraît envisageable qu'ils soient jugés pour certaines ramifications de l'affaire en République dominicaine, et pour d'autres en France.