Le 31 octobre, deux promeneurs ont découvert, dans une forêt landaise, près de Seignosse, le Dr Nicolas Bonnemaison, seul dans sa voiture: inanimé, il venait de tenter de se donner la mort. Transporté au CHU de Bordeaux, son pronostic est, depuis, réservé.
C'était juste après l'annonce du verdict, il y a tout juste une semaine, le samedi 24 octobre. Nicolas Bonnemaison venait d'être condamné à deux ans de prison avec sursis pour un seul des 7 cas qui lui valaient poursuivi, en appel devant la cour d'assises d'Angers. Un seul cas. Et un cas incompréhensible car il s'agissait d'une femme de plus de 85 ans, dans le coma après un AVC ; l'équipe des urgences avait considéré que c'était fini et avait stoppé toutes les thérapeutiques, puis l'avait transférée dans l'unité de court séjour du Dr Bonnemaison pour son agonie. Ce dernier lui avait injecté 5 mg d'hypnovel, sédatif couramment utilisé en phase agonique.
Quand Nicolas Bonnemaison a entendu le verdict, il n'a rien dit. A ses côtés, sa femme, en larmes, a juste lâché qu'il fallait bien que quelqu'un paye «pour l'institution». Rien d'autre. Et les deux avocats de l'urgentiste de l'hôpital de Bayonne se sont félicités du verdict, estimant que «c'était un presque acquittement». Propos volontaristes, un brin forcés, car Nicolas Bonnemaison était blessé, meurtri, mais ne le disait pas publiquement. «Vous vous rendez compte, j'entends à la radio que je suis un meurtrier. Un meurtrier sur une femme, quasi déjà morte», disait-il à un ami. Et il avait raison; le seul cas sur lequel la justice l'a condamné ne tenait pas la route. N'importe quel médecin dans n'importe service d'urgence aurait eu cette pratique d'une perfusion d'hypnovel. Mais voilà, le Dr Bonnemaison a été maladroit, il n'en a pas parlé à l'équipe soignante, ni à la famille, et il avait eu la bêtise de faire un pari de carabin sur cette vieille dame avec un membre de son service. Condamné pour un pari ?
C'est tout, mais c'était trop. Nicolas Bonnemaison a aujourd'hui 54 ans. Depuis l'été 2011, il a du tenir, au centre d'une affaire qui le dépassait, reflétant parfaitement la situation en France des fins de vie médicalisées. Ce médecin n'a eu de cesse de répéter qu'il n'a fait que «prendre ses responsabilités». «Jamais je n'ai voulu raccourcir des vies, seulement accompagner des agonies».
Nicolas Bonnemaison est attachant. Fils de chirurgien, il adore son métier et s'est peu à peu spécialisé dans les soins palliatifs. «Tout ce que je veux, c'est reprendre mon métier», nous confiait-il. Sa femme l'a soutenu sans relâche. Durant les deux procès d'assises, certains ont mis en avant sa «fragilité psychologique», pointant qu'il avait été à trois reprises hospitalisés pour dépression. «Comme si c'était une tare», s'énervait sa femme. On a évoqué aussi le suicide de son père. A un moment, toujours lors de ces procès a été mentionnée une tentative de suicide, ce qu'il a démenti fortement. «Non, je ne suis pas fragile, ce que je veux, disait-il, c'est de montrer que j'ai fait juste mon métier, peut être ai je été maladroit, mais jamais je n'ai été un meurtrier.»
La faute, à qui ? La loi en France sur la fin de vie reste confuse, nombre d'acteurs adoptent des postures, les pratiques demeurent parfois incertaines et les malentendus toujours nombreux. «Il y a un certain désordre actuel, on ne sait pas, on ne sait plus si l'on part trop vite, trop lentement», a témoigné avec force le sociologue Philippe Bataille devant la Cour d'assises d'Angers. «Face aux patients, on a reconstruit le secret, aussi bien à l'hôpital qu'à domicile. La responsabilité médicale ? Elle recule, les médecins se dégagent.» Nicolas Bonnemaison ne s'était pas dégagé. Pendant des mois et des années, il s'est défendu, il a tenu bon, a résisté à ces longues années d'instruction. Ne pouvant plus exercer son métier, il a dû faire bonne figure lors de ces deux longs procès d'assises.
Après sa condamnation, jugée de tous côtés paradoxale, il n'a pas voulu se pourvoir en cassation. A des proches, il disait, jeudi : «Notre retour à la vraie vie est difficile. Je vais peut être écrire pour exorciser tout ça.»