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portrait

Laurent Vallet, iconophage

Le nouveau PDG de l’INA, qui succède à Agnès Saal, tombée pour frais de taxis excessifs, passe sa vie à dévorer des images.
Portrait de Laurent Vallet, à Paris, le 6 octobre. (Photo Olivier Roller)
publié le 4 novembre 2015 à 17h41

«Là, c'est moi, le matin, le président arrive à l'INA [l'Institut national de l'audiovisuel] en hélicoptère», s'amuse Laurent Vallet alors qu'il assiste à une démonstration de restauration des images abîmées par le temps que l'INA a pour mission de sauvegarder. Effet garanti auprès de l'opérateur qui tente de rendre ses pales disparues à l'hélico dont s'extirpe maladroitement un James Bond de série Z.

En vrai, le nouveau patron arrive le matin en voiture de fonction avec chauffeur, et limite l’utilisation des taxis au strict minimum quand celle qui l’a précédé, Agnès Saal, a été remerciée après avoir accumulé des notes de taxis aux dimensions épiques. Le poste, PDG de l’INA, semble poisseux. Mathieu Gallet, parti de l’INA en 2014, avait eu des soucis avec des dépenses somptuaires en arrivant à la présidence de Radio France. Peu importe que les frais, 68 000 euros de boiseries en palissandre de Rio, aient été engagés par le président d’avant, il avait laissé faire tout en sonnant l’heure des économies.

A Bry-sur-Marne, au siège de l’INA, Vallet prend donc soin de respecter le règlement intérieur qui interdit la présence de chien dans l’enceinte de l’entreprise. Elliot, un braque aux yeux attendrissants, qui parfois obéit aux ordres, l’attend à la maison. Son maître avait apporté sa couverture et sa gamelle de son ancien bureau, mais il a dû se résoudre à les évacuer avant notre voyage à Bry-sur-Marne.

Pour tracer le portrait d'un patron, mieux vaut poser la question aux élus du personnel qui en ont vu d'autres. «Trois en un an, c'est beaucoup tout de même !» note l'un d'entre eux, qui tient à se montrer prudent. «On les prend, on leur laisse le temps», avant d'admettre que le nouveau venu à quelque chose d'atypique «il déjeune à la cantine, et va vers les gens avec beaucoup de facilité. C'est vrai qu'il est plus à l'écoute que Mathieu Gallet, mais ça, c'est pas difficile. Vous parliez, Gallet mettait son imper, et ça coulait. Lui, il écoute.» Ça n'a pas empêché le dernier CE de rejeter, comme à son habitude, le contrat d'objectifs et de moyens en discussion avec l'Etat. Un autre point du parcours de Vallet a été pointé par les salariés : «On a regardé son CV, et c'est vrai que quatorze ans à la tête de l'IFCIC [l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles], ça nous a rassurés. (1)»

Question contact, Vallet n'hésite pas. Du haut de son 1,87 m, il vous fond dessus, et lance la mitraillette à paroles. Vous ne l'arrêterez pas. Sa maman dit à qui veut l'entendre qu'il a parlé avant de savoir marcher et, depuis, il ne s'est pas arrêté de parler et de marcher à grandes enjambées. Posez une question simple. Sa nationalité ? Le Canada, paraît-il. «Je suis né à Loretteville, un quartier de la ville de Québec. Mon père était statisticien à l'Insee de là-bas. A 18 ans, le Canada m'a informé que j'avais droit à la nationalité. J'ai deux passeports. Mais je crois que le canadien n'est plus valable, il faut que je regarde ça.»

Si l'INA a vu des patrons effacés, celui-là doit apparaître en surexposition sur les bandes et les supports numériques stockés à longueur d'année. On l'entend venir de loin sur le campus de l'institut pour piquer une cigarette et demander «comment ça va ?» en attendant la réponse. Peut-être reprend-il le jeu qu'il avait inventé quand, pré-ado dans les rues du XVe arrondissement de Paris, il se baladait avec son copain Julien Taïeb, devenu chirurgien, avec un magnétophone à K7. Ils arrêtaient les passants en les lançant sur des mots inventés, des néologismes pour élargir à l'infini le vocabulaire. Les mots maniés avec une incontestable aisance ont pu lui sauver la mise. Bon élève au lycée, «il avait de l'esprit, sans faire le clown», se rappelle son camarade de classe. Il fait Maths sup sans réfléchir mais s'ennuie, demande à embrayer sur une prépa HEC. Il intègre l'école de Jouy-en-Josas (Yvelines), s'ennuie encore, et tente Sciences-Po. A l'oral, on l'interroge sur la Commune, le mur des Fédérés, un sujet qu'il ne maîtrise pas du tout. Rien ne va, il le sait, il le sent, se trouve nul. Richard Descoings, qui n'est pas encore le patron de la rue Saint-Guillaume, notera au terme de l'oral : «Sympa.» Et ça passe à la tchatche. Ensuite ? L'ENA, forcément. Un poste au FMI à Washington ? Un truc convoité qui ne se refuse pas, mais qu'il décline en demandant à aller dans l'audiovisuel. Drôle d'idée, juge-t-on à l'école, mais comme il passe son temps au cinéma il y a peut-être là une cohérence. «A la vérité, je me sens plus cinéphage que cinéphile», mais défend la Nouvelle Vague moins Godard, préfère le cinéma d'auteur d'Audiard, le fils, d'Assayas ou d'Amalric, mais évoque aussi Pierre Richard et Depardieu dans la Chèvre, et dort avec, à sa droite, une affiche originale de Blow Up, version rouge. «Blow up, c'est le film», il en resterait presque sans voix. Les documentaires retiennent aussi son attention et il se souvient du choc produit par la Reprise, sur l'après-conflit dans les usines Wonder en 68, de Hervé Le Roux, ou de Rêves dansants, sur le travail de Pina Bausch, peu de temps avant la mort de la chorégraphe, ou les Demoiselles de Nankin, de son ami Camille Ponsin. Il faut l'arrêter. «Le cinéma, tout le monde peut en dire trois mots après avoir vu la bande-annonce, ou une critique. Lui, il peut vous parler de docus pendant des heures», se souvient une productrice marquée par le flot de paroles. En même temps, la parole est une nécessité quand on passe d'une structure de 20 personnes, l'IFCIC (créée par Jack Lang en 1983), à une entreprise de 1 000 salariés, née du démantèlement de l'ORTF sous Valéry Giscard d'Estaing et dans laquelle le dialogue social a été quelque peu tendu. Pour détendre l'atmosphère des CE, on peut compter sur Vallet, les salariés croisés dans l'entreprise, ou en dehors, le trouve, comme Descoings, «sympa», mais il en faudra plus pour rassurer. Il recherche des perspectives d'avenir pour une entreprise tournée, par vocation, vers le passé. Il vient de lancer un service de VOD à bas prix (entre 0,99 et 2,99 euros par mois), un peu rapidement baptisé Netflix du service public, et rappelle, avec gourmandise, que l'article 49 de la loi de 86 autorise l'INA à accompagner des productions audiovisuelles, et saute sur son stylo pour noter le nom d'un blogueur de Libération dingue de Web séries, ces programmes courts qui pullulent sur Internet. Il ne connaît pas, ne peut rien en dire. On pose le stylo. Ah, il y a une question à laquelle il n'apporte pas de réponse. Son salaire : la tutelle ne l'avait pas encore fixé lors de notre rencontre.

(1) Sous tutelle des Finances et de la Culture, a pour vocation d’accompagner le financement du cinéma et d’entreprises culturelles en général.

1969 Naissance à Loretteville (Québec).

Septembre 1990 Admission à Sciences-Po.

Janvier-juillet 1993 Stage ENA à Médecins du monde.

2002 Nomination à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC).

2015 Nommé PDG de l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Photo Olivier Roller