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Libération
édito

Vote des étrangers, l’ultime reniement

Manuel Valls le 3 novembre 2015 à l'Assemblée nationale. (Photo Lionel Bonaventure. AFP)
publié le 4 novembre 2015 à 19h36

Manuel Valls a raison : «Il ne faut pas courir derrière des totems.» Un totem c'est encombrant. Et cela ne sert pas à grand-chose, sauf peut-être à vouloir à se faire appeler «castor méditatif» ou «ours vaillant», un soir d'étoiles filantes, au coin du feu. Un totem («Ce à quoi on voue un respect quasi religieux; chose sacrée», selon la définition du Larousse) n'a finalement rien à faire dans un espace public laïc et désacralisé. Il est tout sauf politique. C'est en cela que faire du droit de vote des étrangers non européens aux élections locales un totem de la gauche, c'est au minimum se tromper de mots. Si cette mesure est inscrite dans le programme du Parti socialiste depuis 1981, c'est tout simplement parce qu'elle porte une exigence de gauche : la conquête de nouveaux droits formels et/ou sociaux. Mardi soir, devant les étudiants de Sciences-Po, le Premier ministre a pourtant répété que, pour lui, le droit de vote des étrangers, «ce n'est plus le sujet». «Cette promesse [du candidat Hollande], de toute façon, elle ne sera pas mise en œuvre et je suis convaincu qu'elle ne sera pas reproposée à la prochaine élection présidentielle parce qu'elle tend inutilement et que ce n'est plus le sujet», a-t-il martelé. On connaît les deux principaux arguments de Manuel Valls. Le premier (de fond) repose chez lui sur une vraie conviction : citoyenneté et nationalité ne font qu'un. L'un ne peut pas se concevoir sans l'autre. D'où l'assouplissement des conditions de naturalisation pour les étrangers qui résident en France depuis plus de cinq ans. «Pour voter, devenez Français», dit en substance Valls, à l'unisson de beaucoup de leaders de droite. Cet argument pourrait s'entendre ou en tout cas se discuter. Sauf qu'il tombe tout seul quand on sait qu'un Européen résidant en France a, lui, parfaitement le droit de participer aux élections européennes et locales sur notre sol. Pourquoi alors aujourd'hui accorder ce droit à un Allemand ou à un Italien, de passage dans notre pays, et l'interdire à un Algérien ou un Marocain, qui vit en France depuis trente ans, y élève ses enfants, parle notre langue, aimerait participer à la vie locale sans pour autant adopter la nationalité française ? Il y a là deux poids, deux mesures qu'aucun argument sérieux ne saurait combler. L'autre argument est d'ordre tactique. Défendre cette mesure, selon Valls, ce serait faire le jeu du Front national, et ajouter de la tension à un pays déjà travaillé par des convulsions identitaires. Bref, il vaudrait mieux abandonner ce que l'on croit juste, plutôt que prendre le risque de se retrouver minoritaire et de renforcer son ennemi politique. On appelle cela refuser le combat. Ou revendiquer une capitulation, comme un gage de modernité, pour se mettre à l'unisson d'une opinion publique. Se renier n'a pourtant jamais annoncé le temps de la reconquête.

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