Le temps est gris. Les mines, aussi. De tristesse, surtout. Dans l'air flottent également beaucoup de réserve et de méfiance. A la porte de la Villette, malgré les attentats de la nuit, la mosquée Adda'wa, (ce qui signifie «la prédication»), l'une des plus importantes de l'Est parisien, est ouverte. Au compte-gouttes, les fidèles, à pied ou à vélo, arrivent pour l'une des cinq prières obligatoires de la journée, celle de Dohr qui a lieu vers 12h45. Discrètement, le gardien (qui refuse de donner son nom) scrute un à un les arrivants, les écouteurs sur les oreilles. Il est branché sur la radio pour rester informé. Comme beaucoup d'autres, il hésite à parler, se retranche derrière un français qu'il manie mal. «Il y a quelque chose qui ne va pas bien, se désole-t-il dans ses mots hésitants. C'est le pays entier, la France, qui paye ce sang. Il n'y a pas que les musulmans.»
Avant d'entrer dans la salle de prière, chacun passe dans la petite salle des ablutions. Un vieil homme en djellaba s'éclipse pour esquiver les questions. Pour ceux qui parlent, la tonalité est la même que lors des attentats de janvier. «Il n'y a pas que les musulmans à être concernés. Nous le sommes d'abord parce que nous vivons dans ce pays, parce que nous sommes français», lâche Moussa qui habite tout près de là. Pour beaucoup de musulmans, le réflexe, c'est d'abord de se revendiquer citoyen appartenant à une communauté nationale blessée. «Je sais bien que nous allons être montrés du doigt comme musulmans, enchaîne cependant Moussa. Cela va nous retomber dessus et que nous allons avoir à nous justifier, dit-il. En fait, c'est nous les musulmans qui allons payer le prix fort. Ce matin, j'ai vu déjà des regards inquiets qui se posaient sur moi. Ma grand-mère qui vit au Maroc devait nous rendre visite. Mais elle ne viendra pas car elle a peur». Peur de possibles autres attentats et de la peur de l'islam et des musulmans, que le climat risque d'engendrer.
«Nos jeunes ne sont pas des terroristes»
Travaillant dans le secteur médical, Farid (qui a changé son prénom) accroche l'antivol de son Vélib. Quand il ne travaille pas, il fréquente assidûment la mosquée, une construction provisoire en attendant celle qui doit être édifié rue de Tanger dans le XIXe arrondissement, un des grands projets emblématiques de Paris. «Tout cela, ce n'est que du négatif, lâche-t-il. Je ne me sens pas en guerre car, pour moi, ce ne sont que des actes isolés. Si on se considère en guerre, alors ils auront gagné leur bataille.» Farid n'emploie sciemment pas le mot «terroriste». «Je ne sais pas qui sont ces gens, dit-il. C'est à nous qu'ils causent du dommage. Non, je ne crois pas avoir à me justifier. Mes amis me connaissent. Je n'ai rien à leur prouver. Et le musulman que je suis est reconnaissant à la France de m'accueillir. Comme musulman, je suis très choqué par ce qui se passe. Nous sommes tous des êtres humains.»
A l'entrée de la salle de prières, les uns et les autres se déchaussent. Il n'y a là que des hommes. Ils s'alignent pour la prière. C'est l'un des imams adjoints qui dirige la prière en l'absence du recteur Larbi Kechat, l'une des personnalités influentes de l'islam à Paris. A la fin, personne ne s'attarde. Le gardien est pressé de fermer les portes. «Ce matin, le moral est à zéro, dit un homme, électricien qui vit à Aubervilliers. Ici, nos jeunes ne sont pas des terroristes. Ils aident ceux qui n'ont pas de papiers à faire leurs démarches administratives.» Et puis un autre homme, vindicatif : «C'est aux services de sécurité qu'il faut poser les questions. Mais pas à nous. Tout cela est concocté, on ne sait pas où. Vous ne trouvez pas cela bizarre ?» A demi-mot, la théorie du complot surgit… Un bénévole s'attarde un peu pour fermer les lieux. «Nous, quand il y a un match, on est pour la France», insiste-t-il. Pour preuve encore de sa citoyenneté.