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Libération
Récit

A Paris, l'horreur

Procès des attentats du 13 Novembre 2015dossier
Plusieurs attaques coordonnées ont fait plus d’une centaine de morts, vendredi soir à Paris et en banlieue : des explosions sont survenues près du Stade de France, une fusillade a éclaté dans un bar et un restaurant du Xe arrondissement. Au Bataclan, une prise d’otages extrêmement meurtrière s’est achevée par la mort de trois terroristes.
Déployement de militaires rue de Charonne, le 13 novembre (Photo Frédèric Stucin pour Libération)
publié le 14 novembre 2015 à 7h17

Six attaques, quasi simultanées, particulièrement meurtrières et d'une ampleur inédite, frappent Paris, dix mois après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher. Sept lieux ont été visés, tous situés dans l'Est parisien sauf le Stade de France, attaqué par deux kamikazes: la salle de concerts du Bataclan, scène d'une sanglante prise d'otages où trois terroristes ont été tués, le Xe et le XIe arrondissements. La terreur est telle - on évoquait hier soir plus de 120 morts seulement au Bataclan, des dizaines ailleurs - que François Hollande a décrété peu avant minuit l'état d'urgence, la fermeture des frontières et le déploiement de renforts militaires dans la capitale. Au total, ce sont 1 500 soldats qui sont mobilisés rien que pour l'Ile-de-France. «Ce que les terroristes veulent c'est nous faire peur, nous saisir d'effroi. Mais il y a face à l'effroi une nation qui sait se défendre», assure le chef de l'Etat. Retour sur une nuit d'horreur.

RUE BICHAT

Au croisement des rues Marie-et-Louise, Bichat et Alibert, à un jet de pierre du canal Saint-Martin, dans le Xe arrondissement, les terrasses débordent sur les trottoirs tous les vendredis soirs. Vers 21 h 20, une détonation surprend les clients du bar le Carillon. Tout le monde prend ça pour un pétard, avant qu'au moins un homme au visage découvert braque son arme automatique sur la terrasse.

Selon plusieurs témoins, il y a alors plusieurs rafales. Le tireur lève son fusil, prend appui sur son épaule, ajustant son tir, très déterminé, raconte un homme qui se trouvait dans la pizzeria en face. «C'était interminable. Il a tiré beaucoup beaucoup beaucoup», raconte un client du Carillon.

Après une pause, les coups de feu reprennent, cette fois dirigés vers la façade du Petit Cambodge, un restaurant de cuisine asiatique qui désemplit rarement le week-end et se trouve juste en face du Carillon. «On n'entendait que les gens crier», rapporte un homme très choqué, qui dit avoir compté une dizaine de corps à terre. Selon plusieurs témoins, le tireur, décrit comme grand et aux cheveux bruns, n'aurait rien dit avant d'ouvrir le feu.

Selon le journaliste de Libération présent sur place, certains témoins disent avoir vu deux voitures, un couple d'Américains parle d'une seule. Quatre à cinq morts gisent au sol côté Carillon, recouverts de draps blancs. Un groupe de touristes, dont l'un compte parmi les victimes, essaye d'expliquer la situation à un policier très nerveux. Vers 23 heures, le procureur de Paris, François Molins, arrive sur place, où il passe quelques minutes. Quatorze personnes ont été tuées.

STADE DE FRANCE

Au Stade de France, à Saint-Denis, plusieurs témoins rapportent avoir entendu des «déflagrations» vingt minutes après le coup d'envoi du match amical France-Allemagne. Soit la même heure que la fusillade dans le Xe arrondissement. Le président de la République, qui assistait à la rencontre, est exfiltré illico. François Hollande rejoint le ministère de l'Intérieur «pour faire le point en direct», fait savoir son entourage. Le match se poursuit, mais selon les journalistes sportifs sur place, le stade est bouclé. «Personne ne rentre, personne ne sort», explique l'envoyé spécial du quotidien 20 minutes sur Twitter. A la fin du match, un speaker annonce dans les hauts-parleurs la marche à suivre pour évacuer de manière régulée le stade qui peut accueillir 80 000 spectateurs, par les entrées Sud, Nord et Ouest. «Ça s'est fait dans le calme», explique un témoin joint par Libération. «Les portes n'ont été ouvertes que dix minutes», dit un autre. Les spectateurs sont ensuite rassemblés sur la pelouse du stade. A la fin du match, le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, raconte : «On n'a rien dit aux joueurs et au public à la mi-temps pour ne pas affoler.» Dans la journée déjà, l'équipe d'Allemagne avait été évacuée de son hôtel, le Molitor, dans le XVIe arrondissement, en raison d'une alerte à la bombe. Plus tard dans la nuit, on apprend que les deux terroristes se sont fait exploser à l'aide d'une bombe dans une brasserie à côté.

RUE DE CHARONNE

Au même moment, plusieurs hommes ouvrent le feu rue de Charonne, dans le XIe arrondissement, sur une terrasse de café. Un témoin : «On a entendu plus de 100 balles». L'attaque vise apparemment le bar la Belle Equipe, qui se trouve au coin de la rue de Charonne et de la rue Faidherbe. Un bilan provisoire établi par les pompiers vers 1 heure du matin fait état de 19 morts et «13 blessés en urgence absolue».

BATACLAN

Juste après la fusillade du Carillon, une «grosse détonation» ainsi qu'une vingtaine de coups de feu retentissent au Bataclan, salle de concert de 1 500 places près de la place de la République où jouaient les Eagles of Death Metal, un groupe californien. Selon les témoins, il y a de trois à six tireurs.

A 22 h 35, alors que Paris est bouclé, l’information tombe : c’est une prise d’otages . Une centaine de personnes seraient retenues par les terroristes, selon une source policière. Le Raid se rend immédiatement sur place. Toute personne approchant sur les boulevards Voltaire et Richard-Lenoir est mise en joue par des policiers sous tension.

A 22 h 39, la préfecture de police fait état de 18 morts. Cinq minutes plus tard, la police évacue la place de la République, épicentre du sursaut républicain de janvier dernier après les attentats qui avaient fait 17 morts. Dans les mégaphones, depuis les fenêtres de Libération, on entend : «Dégagez la place». Sur les panneaux d'affichage de la ville de Paris, un message unique s'affiche: «Nous vous invitons à rester chez vous en attendant les instructions».

Au Bataclan, la prise d'otages se confirme. «On a vu deux hommes entrer. Ils ont tiré à l'extérieur puis à l'intérieur de la salle», raconte un témoin sur Twitter. D'autres avancent que les assaillants ont évoqué la Syrie au moment d'entrer dans la salle. Un photographe, Stéphane, a vu deux cadavres devant la salle de concert. Une vidéo, floue, filmée depuis un immeuble voisin et diffusée sur les réseaux sociaux, permet d'entendre les détonations, les tirs. «Avec ma mère, on a réussi à s'enfuir, on a évité les coups de feu, raconte un spectateur du concert à France Info. Y a des mecs qui sont arrivés, ils ont commencé à tirer dans l'entrée, en hurlant Allah akbar avec des fusils çà pompe je crois.» «Tout le monde s'est couché à terre, continue-t-il en pleurs. J'ai pris ma mère, on s'est couchés au sol, on a réussi à courir, on s'est enfuis par une issue de secours au Bataclan.»

Pour l'ensemble des sites d'attaques, l'AFP fait désormais état de 30 morts. A 23 h 15, Benedetta, écrivaine, est dans les loges du Bataclan. Elle est montée au deuxième étage. «Il y a environ une dizaine de personnes allongées dans la cour de l'immeuble qui ne bougent plus. J'entends des gens crier, se plaindre. Puis d'un coup plus de bruit, raconte-t-elle à 23 h 10. On ne voit pas la police, on a coupé les lumières, on n'entend plus les tirs, je me suis réfugiée dans la salle de bains.» A Libération, un agent de la DGSI parle d'une «estimation à 36 morts». Et on évoque désormais une attaque dans le quartier des Halles, dans le centre de Paris. Une fausse alerte, mais le GIGN s'est quand même déplacé. Les rumeurs de fusillade dans tout Paris se multiplient. Dans les rues, la solidarité s'organise. Les taxis et les chauffeurs Uber annoncent qu'ils transportent les gens gratuitement. Sur Twitter, le hashtag #PortesOuvertes fait florès : les internautes proposent d'accueillir les passants dans les «lieux sûrs».

A 23 h 24, le bilan s’alourdit à 42 morts. A Beauvau, François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve se réunissent une première fois dans le salon du «Fumoir», celui-là même qui avait servi à piloter la traque des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly en janvier dernier. Tous les états-majors de la police judiciaire et des services de renseignement ont été rappelés.

23 h 30 Les messages commencent à affluer du monde entier. «Nous ferons tout ce que nous pouvons pour aider» , assure le Premier ministre britannique, David Cameron. A Washington, Barack Obama se tient informé de la situation à Paris. Et l'Elysée annonce la tenue d'un Conseil des ministres d'urgence à minuit.

Les chaînes d'information font état d'au moins 60 morts et évoquent une fusillade près de Libération et de la place de la République.

A 23 h 35, le parquet antiterroriste est saisi et quelques minutes plus tard le plan multi-attentats dit «rouge alpha» est déclenché. Pour Barack Obama, qui s'exprime à la télévision avant François Hollande : «Les attaques de Paris sont une tentative de terroriser des civils innocents. Elles frappent toute l'humanité et nos valeurs universelles.»

A 23 h 50, le quartier de République est plongé dans un silence presque total. Dans la rue Béranger, où se trouve le siège de Libération on entend seulement les cris des gendarmes : «Police, reculez !»

Hollande apparaît sur les écrans de toutes les télévisions françaisesjuste avant minuit. «Nous savons d’où vient cette attaque. Nous devons faire preuve de compassion et de solidarité, mais nous devons également faire preuve d’unité. Face à la terreur, la France doit être forte, elle doit être grande», déclare-t-il avant de décréter l’état d’urgence (voir page 6) et de présider un conseil des ministres. Samedi matin, il doit diriger un conseil de défense et dimanche, il a annulé sa participation au G20 en Turquie. L’aéroport d’Orly est fermé, Roissy reste «opérationnel».

Vers 00 h 30, «une énorme déflagration qui pourrait ressembler à un assaut» retentit près du Bataclan, rapporte un journaliste de Libération. A quelques centaines de mètres, la place de la République, encore décorée de graffitis post-Charlie, est déserte. Des groupes de badauds se massent aux carrefours devant les agents nerveux. Une voiture s'égare, passe un cordon : son conducteur est aussitôt mis en joue. Il fait demi-tour et disparaît dans une rue déserte. Un policier recommande : «Ne restez pas près de nous. Nous sommes des cibles.» Rue Marigny, près de l'Elysée, la radio des policiers crache : «Terroristes en fuite». Il est 00 h 53, l'assaut du Raid au Bataclan est terminé. Les survivants quittent la salle les mains sur la tête et sont rassemblés rue Oberkampf dans le restaurant Le Baromètre, à quelques mètres de là. Selon le procureur de Paris, François Molins, au total vendredi soir, «cinq terroristes ont été neutralisés». Peu avant 3 heures du matin, le ministère de l'Intérieur refuse de confirmer s'il reste des terroristes en fuite.