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Libération
Récit

L’union, malgré les tentatives de récupération

La campagne pour les élections régionales de décembre a été gelée, mis à part quelques sorties à droite et à l’extrême droite.
Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, à Paris le 14 novembre 2015, à l'issue du Conseil des ministres extraordinaire à l'Elysee. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 14 novembre 2015 à 19h12

Depuis le ministère de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve a cru pouvoir saluer samedi «l'élan de solidarité nationale qui s'est exprimé chez les responsables politiques républicains». De fait, comme au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, l'opposition s'est globalement ralliée à l'union sacrée. Les leaders des partis, y compris le Front national, qui seront tous reçus dimanche à l'Elysée, ont immédiatement «suspendu» leur campagne pour les élections régionales. Ils ont tous salué l'instauration de l'état d'urgence et le rétablissement des contrôles aux frontières. Même si certains cadres du Front national et du parti Les Républicains (LR) n'ont pas perdu une minute pour exploiter politiquement la tragédie.

Dès vendredi soir, Nicolas Sarkozy en appelait à «la solidarité de tous les Français», tandis qu'Alain Juppé affirmait que «l'union nationale doit se faire autour du président de la République et du gouvernement». Prenant la parole samedi en usant d'un registre quasi présidentiel, Marine Le Pen a, elle aussi, délivré un lapidaire satisfecit au chef de l'Etat pour les mesures d'urgences annoncées deux heures après les attentats meurtriers : «C'est bien.»

«Inflexions majeures»

Mais cet unanimisme dans l'union sacrée n'a pas empêché l'expression de nuances et la volonté de surenchère. Chez les principaux leaders du parti Les Républicains, le soutien au gouvernement s'est accompagné de demandes pressantes d'initiatives nouvelles en matière de sécurité intérieure et de politique étrangère. Dans une déclaration solennelle depuis le siège de LR, Sarkozy a estimé qu'après le déchaînement de «la barbarie jihadiste» dans les rues de Paris, «plus rien ne peut être comme avant». Selon lui, «la guerre doit être totale», ce qui implique des «inflexions majeures» dans la sécurité intérieure comme dans «la politique extérieure qui doit intégrer que nous sommes en guerre». Dans la même veine, Alain Juppé en a appelé à «l'union internationale» autour de la France, qui ne doit pas être «seulement dans l'émotion du carnage mais sur la durée d'une guerre qui menace nos vies, nos valeurs, notre avenir».

Dès samedi, plusieurs personnalités notoirement favorables à une alliance avec Bachar al-Assad contre Daech ont exigé une révision de la stratégie militaire de la France : «Cessons d'aider les prétendus insurgés démocrates qui attaquent le régime de Damas», demande ainsi le député LR Jacques Myard. D'autres, comme Lionnel Luca (LR) et Gilbert Collard (FN), n'ont pas hésité à pointer la prétendue responsabilité du gouvernement dans le «communautarisme» et le développement de cellules jihadistes en France. Candidat LR à la présidence de la région Rhône-Alpes-Auvergne, Laurent Wauquiez a poursuivi sans complexe sa campagne électorale samedi en demandant la création de «centres d'internement» pour «les 4 000 personnes vivant sur le territoire français fichées pour terrorisme». Candidat en Paca, Christian Estrosi demande, lui, que les personnes fichées soient «assignées à résidence».

Marine Le Pen n'est pas en reste. Estimant que «la France et les Français ne sont plus en sécurité», la présidente du Front national a exigé le «réarmement» du pays et la révision immédiate de sa diplomatie. Visant implicitement l'Arabie Saoudite ou le Qatar, elle a demandé que soient catalogués «ennemis» tous les Etats «qui entretiennent des relations bienveillantes avec l'islamisme radical, ou ambiguës avec les entreprises terroristes». Occasion pour elle de ressortir le catalogue complet des revendications frontistes : retour «définitif» à une «maîtrise des frontières nationales», fermeture des mosquées radicales, expulsion des «étrangers qui prêchent la haine et des clandestins»

Médiocrité politicienne

Pour Marine Le Pen, il s'agissait aussi d'un exercice de rattrapage. Car loin de l'union nationale face au terrorisme, les réactions des cadres du FN s'étaient surtout caractérisées vendredi soir par leur médiocrité politicienne et l'absence d'empathie. Quelques minutes après l'annonce des premières fusillades, la tête de proue FN pour les régionales en Normandie, Nicolas Bay, faisait ainsi dans un tweet le parallèle entre l'idée de Manuel Valls de fusionner les listes PS et LR pour contrer le FN et le carnage en cours à Paris : «Pendant que ce Hollande et ce Valls combattaient le FN, des assassins sanguinaires préparaient leurs attentats ! Honte, honte, honte à eux !» Face à l'indignation de la Toile, le tweet est vite retiré, remplacé par un message plus consensuel «d'émotion et de tristesse». Preuve que la volonté de récupération politique du carnage est prégnante au sein de l'état-major frontiste, le tweet de Bay n'est pas isolé. Alors que le sang des Parisiens coulait toujours, Louis Aliot, vice-président du parti, qualifiait Valls d'«irresponsable», quand la tête de liste du FN en Ile-de-France, Wallerand de Saint-Just invitait à chercher «derrière les auteurs de ces tueries, les VRAIS responsables qui, eux, sont politiques». Ce dimanche, le défilé des chefs de parti à l'Elysée devrait être l'occasion d'illustrer cette «unité nationale» dont chacun vante la nécessité. Unité bien fragile qui pourrait ne pas résister à l'épreuve du temps.