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Libération

Attentats Paris. Portraits des personnes tuées

publié le 15 novembre 2015 à 20h36

Guillaume B. Decherf, 43 ans, tué au Bataclan

Les Inrocks l'ont annoncé samedi en début de soirée : leur journaliste Guillaume Barreau-Decherf, qui signait Guillaume B. Decherf, est l'un des 89 morts du Bataclan. Né à Bar-le-Duc (Meuse) en 1972, il avait grandi dans l'Essonne, entre Morsang-sur-Orge et Viry-Châtillon. Passionné de culture anglo-saxonne et bilingue, il avait étudié à Paris-XII-Créteil et obtenu une maîtrise d'anglais, avant de réussir le difficile concours d'entrée à l'Ecole supérieure de journalisme de Lille. De ses années de fac, une expérience le marquera particulièrement : son séjour à l'université anglaise de Loughborough, près de Leicester, dans le cadre du programme Erasmus. Il avait 20 ans. Sur le site Copains d'avant, il racontait : «Je me souviens surtout de la FM du campus où j'animais une émission metal 100 % in english. Je passais des nuits à farfouiller dans leurs archives disques. Un délice. Et, en pleine crise financière (la précédente), la livre ne valait rien, donc les CD et concerts non plus. La fête !» Entre 1999 et 2003, on retrouvera souvent la signature de Guillaume B. Decherf dans nos colonnes. Début 2000, il est l'envoyé spécial de Libé à Chicago, où il rencontre un de ses groupes fétiches, The Smashing Pumpkins. Après avoir collaboré à Rolling Stone et au quotidien Metro, il est rédacteur en chef de Hard Rock Mag en 2005-2006, puis arrive en 2008 aux Inrocks. Il y suit l'actualité du hard rock et, en 2012, il coordonne un numéro spécial consacré au metal. Sa dernière chronique, parue le 28 octobre, était celle de Zipper Down, nouveau disque des Eagles of Death Metal, dont il annonçait le concert au Bataclan. Où Guillaume Barreau-Decherf, père de deux filles, est mort à 43 ans, sous les balles des terroristes. François-Xavier Gomez

Christophe Lellouche, 33 ans, tué au Bataclan

Christophe Lellouche, 33 ans, était au Bataclan vendredi soir. Son ami Florian Giraud raconte : «Il avait mis sur sa page Facebook qu'il allait au concert des Eagles of Death Metal. Quand j'ai appris ce qui se passait, j'ai commencé à flipper. Je n'ai appris sa mort que samedi à 14 h 30 par un tweet. Christophe, c'était un très beau garçon, avec des cheveux bruns frisés, des yeux bleus, une petite barbe. Il venait de perdre son boulot. Il faisait de la com pour Peugeot. Il devait aller à d'autres concerts cette semaine. Il aimait l'electro-rock, et c'était un fan de Metallica. Avec son groupe, Øliver, dont il était le compositeur et le guitariste, il avait enregistré cinq titres. Moi, je l'ai connu par le foot. Il était l'un des confondateurs de Horsjeu, un site satirique sur le foot, décalé, mauvais esprit. De mon côté, j'avais un blog sur le foot. On est entrés en contact, nous, les deux fans de l'OM. J'avais repéré son humour, sa passion pour la déconne. Quand je l'ai rencontré, j'ai été surpris : lui qui trashait pas mal de monde sur Twitter était en fait une vraie crème. Ces derniers temps, comme on était en mode célibataire, on sortait pas mal ensemble pour boire des coups, dans le XIe arrondissement. Il avait fait une école de radio, Studec, et rêvait d'être chroniqueur. C'est là qu'il avait rencontré son grand pote black Saïd. Le 14 juillet dernier, on s'était retrouvés tous les trois, à Marseille, à boire des bières sous un Abribus, rue de Paradis. Christophe, que j'avais vu mardi, ira direct au paradis.» Recueilli par Catherine Mallaval

Lola Salines, 28 ans, tuée au Bataclan

Le 6 décembre, Lola Salines allait avoir 29 ans. Vendredi soir, elle était devant le Bataclan avec des amis. Après des appels sur les réseaux sociaux de sa famille et de ses proches, son père, Georges Salines, a tweeté samedi dans la journée : «Je viens d'avoir confirmation du décès de Lola.» Deux de ses amies présentes à la salle de concert auraient été blessées et une autre en serait sortie indemne. La jeune femme vivait dans le XXe arrondissement de Paris, elle travaillait pour la maison d'édition Gründ, spécialisée dans les livres pour enfants et installée dans le VIe arrondissement. Depuis septembre 2014, elle était membre de la Boucherie de Paris, une équipe de roller derby. Enfant, elle avait beaucoup voyagé, habitant en Egypte, puis, plus tard, au Japon. Sur les photos d'elle postées par ses amis, elle rit toujours. Sauf dans l'une, prise au McDonalds, où elle fait mine d'être triste, mais tient un ballon où est marquée la phrase : «Place à la bonne humeur.» Clément Ghys

Valeria Solesin, 28 ans, tuée au Bataclan

Cette Italienne de 28 ans, qui a grandi à Venise puis étudié à Trente, vivait à Paris depuis quatre ans. Doctorante en sociologie à la Sorbonne, cette boursière travaillait sur la place des femmes dans la société, la conciliation famille-emploi, en comparant les modèles français et italien. Elle était aussi bénévole pour l'ONG italienne Emergency, qui fournit un soutien médical dans les zones de guerre ou de pauvreté. Son fondateur, le chirurgien de guerre Gino Strada, lui a rendu hommage sur Facebook : «Au revoir Valérie, et merci, écrit celui qui a reçu en octobre le prix Nobel alternatif. Nous avons eu la chance de te rencontrer et de t'apprécier, d'abord à Venise puis à Trente.» Le concert de vendredi était un cadeau offert à sa belle-sœur, qui vient d'être diplômée. A part son compagnon légèrement blessé à l'oreille, ses proches sont sortis indemnes de l'attentat. «Elle adorait la musique, elle était de celles qu'on croise toujours aux concerts, décrit l'un de ses amis italiens, lui aussi un temps installé en France. Elle était le visage souriant et la tête bien faite de la jeune communauté italienne de Paris.» Dans la presse italienne, sa mère raconte que Valeria «aidait les sans-abri de Paris, ce qui démontre son désir de connaître toutes les facettes de la société». Pour décrire sa fille, elle évoque «une citoyenne, une érudite». Isabelle Hanne

Matthieu Giroud, 39 ans, tué au Bataclan

Matthieu Giroud était originaire de Jarrie, une petite ville de l'Isère. Vendredi soir, il assistait au concert au Bataclan. Après une journée d'incertitude, l'information de son décès a été annoncée samedi soir à 23 heures à sa famille par les autorités, selon le Dauphiné libéré, dont son père est correspondant local. Toujours selon le quotidien, il était le père d'un petit garçon de 3 ans, et son épouse est enceinte, la naissance étant prévue pour le mois de mars. Matthieu Giroud était maître de conférences en géographie à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, et membre du laboratoire Analyse comparée des pouvoirs au sein de l'établissement. Ses recherches se concentraient sur l'analyse de la ville. Il avait notamment coordonné la traduction de l'ouvrage du géographe radical britannique David Harvey, Paris capitale de la modernité. Pour Libération, il avait publié trois textes. Les premiers en 2011, sur la manière dont le festival les Eurockéennes métamorphosait le territoire de Belfort et dont le projet OpenStreetMap démocratise la cartographie. Au mois d'octobre 2012, c'était avec ses collègues Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian qu'il décrivait «les villes à l'heure du marketing industriel». Le 3 novembre, dans son dernier article écrit pour le site Laviedesidees.fr, il écrivait : «Tant que la gentrification ne sera pas conçue comme une force ségrégative […], il n'y a que peu d'espoir de voir évoluer le rôle octroyé à la mixité sociale dans les politiques urbaines menées dans les quartiers centraux.»

Clément Ghys

Amine Ibnolmobarak, 29 ans, tué au Carillon

Amine Ibnolmobarak, 29 ans, architecte, a été tué vendredi au Carillon. Son épouse, Maya Nemeta, a été grièvement blessée à la jambe. Marc Armengaud a été son professeur à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais et son employeur : «Amine avait, et c'est rare, une véritable foi en l'architecture. Après être allé au lycée français de Casablanca, il avait été envoyé par ses parents à Bordeaux faire médecine. Mais il est parti s'inscrire en douce à Paris, en archi, où on l'a tout de suite repéré. Il était engagé, intellectuel, créatif.» Amine obtient son diplôme, il y a quatre ans, avec un projet de fin d'études sur une exploration des flux du pèlerinage de La Mecque. Marc Armengaud l'embauche dans son agence AWP. Le fait plancher sur l'espace public à La Défense et un projet d'écoquartier à Lausanne. Benjamin Aubry était un ami proche d'Amine : «C'était quelqu'un de très entreprenant et de passionné. Il venait de monter son agence avec Maya. Il y avait chez lui une force que je retrouve chez peu de personnes. Le voir me donnait de l'énergie, il était tout le temps dans l'élan. Je disais à mes amis : il faut que je vous présente Amine. Ce samedi, on devait aller à l'exposition à laquelle Amine a contribué à la galerie du Crous à Paris, sur des projets d'architecture dans des métropoles du Sud. Amine, c'était un très beau garçon, sportif, brillant , élégant. Il m'impressionnait par son charisme et l'attention qu'il portait aux gens.» Catherine Mallaval et Ondine Millot