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Libération
Reportage

«Il faut encore se justifier alors que nous n’avons rien à voir avec cette horreur»

Entre écœurement et fatalité, les habitants de la Paillade, une cité de Montpellier, savent que la défiance à leur égard va redoubler.
Nourdine (au centre) se bat contre l’isolement du quartier la Paillade, à Montpellier. (Photo Nanda Gonzague pour «Libération»)
par Sarah Finger, Correspondante à Montpellier
publié le 15 novembre 2015 à 19h06

Nourdine, Lazreg et les autres avaient prévu d'organiser dimanche prochain une rencontre sur la place de la Comédie, au cœur de Montpellier. Ils y avaient mis toute leur énergie, comme pour chacun de leurs projets. Le temps de ce débat en plein air, baptisé «journal vivant», des lecteurs, des journalistes ou de simples passants se seraient interpellés et entremêlés. Ceux de la Paillade, ce quartier montpelliérain excentré où la mixité n'a plus droit de cité, auraient rencontré des gens «d'en ville», retissé des liens avec les «autres Français»«Mais là, après les attentats, on n'est plus dans le débat. Ce n'est plus le moment de parler de sujets clivants alors que les plaies sont encore béantes, lâche Nourdine, 39 ans, le regard perdu dans son thé à la menthe. On va faire autre chose. Réunir des gens d'ici et d'autres quartiers, des artistes aussi, et regarder ensemble depuis les hauteurs de la Paillade le soleil se coucher en partageant un chocolat chaud. Ceux qui voudront pourront lire un texte… On va revenir à choses simples, essentielles.»

Depuis trois ans, Nourdine, auteur de romans et de pièces de théâtre, ainsi que plusieurs de ses «potes», tous originaires de la Paillade, ont organisé dans l'espace public plus de 30 rencontres informelles afin de sortir leur quartier de l'isolement et de créer des ponts avec l'extérieur. Libération les avait rencontrés cet été à l'occasion d'une de leurs agoras organisée sur la place de la Comédie. Ils nous avaient alors confié qu'après Charlie, le centre-ville de Montpellier leur était apparu comme un territoire devenu plus hostile : en tant que musulmans, en tant qu'Arabes, ils avaient l'impression de devoir «raser les murs…»

Poids

Au lendemain des attentats parisiens, certains appréhendent à nouveau de descendre en ville. Et chacun se demande ce que cette nouvelle vague violence va lui coûter. «C'est le même sentiment qui revient encore, témoigne Lazreg, 35 ans, éducateur. On est rattrapés par une histoire qui nous colle à la peau : toujours le même amalgame, extrêmement douloureux pour nous. Dans notre entourage amical, ou dans notre milieu professionnel, il faut à nouveau se justifier alors que nous n'avons rien à voir avec toute cette horreur.» Lazreg dit encore que les gens de son âge vont encaisser ce nouveau choc : «Nous sommes plus solides.» «Mais comment les plus jeunes vont-ils pouvoir projeter leur avenir en France, comment vont-ils cheminer dans leur vie avec ce poids supplémentaire ?»

Amid, 31 ans, chômeur, touille son café, la mine défaite ; il a passé la nuit à écouter les infos en boucle. «Ce n'est peut-être pas le cas de tout le monde dans le quartier, mais moi je suis bouleversé. Ces terroristes, ces criminels, salissent l'islam. Ça va être très dur de retrouver du travail. Maintenant, pour n'importe quel employeur, en tant que musulman, je suis une menace.» Devant la gravité des attentats, «finalement, le regard des autres je m'en fous, c'est secondaire, tranche Badre, 37 ans. Mais c'est vrai que ce regard sur la communauté arabe fait mal.» A la Paillade, peu avaient choisi de rejoindre les rangs de la grande manifestation de l'après-Charlie. «Il y avait une condamnation absolue et sans condition de ces actes graves perpétrés contre la liberté d'expression, affirme Badre. Mais il y avait aussi parmi nous un malaise lié à l'humour de Charlie qui touchait, notamment au travers des caricatures du Prophète, à quelque chose de sacré.»

Les attentats de vendredi, décrits comme un «deuxième coup plus violent, plus profond», sont condamnés sans cette «ombre» qui planait sur Charlie.

Ensemble

«En tant que Français, en tant qu'êtres humains, on est touchés au plus profond de notre être par cette barbarie, s'indigne Badre. L'Etat islamique n'a d'islamique que le nom : on vend à ces gens un paradis avec 72 vierges alors que le Coran dit que quiconque tue une âme tue l'humanité. L'islam radical est un cancer, une idéologie pire que moyenâgeuse.»

Nourdine, lui, avait participé à la grande manifestation du 11 Janvier. Il aimerait que tout le monde redescende dans la rue. Pour «se resignifier un amour les uns pour les autres. Pour se redire notre attachement, et ce goût pour la paix que nous partageons. Pour se protéger de ce qui fait mal. Et pour être tous ensemble, au sein de la nation.»