A l'inverse des autres théâtres des attentats de vendredi, un vaste périmètre restait bouclé dimanche autour du Bataclan - des opérations préventives de déminage et les relevés de la police doivent s'y poursuivre au moins jusque lundi. Le massacre de près de 100 personnes lors d'un concert du groupe de rock californien Eagles of Death Metal vient recouvrir d'un indélébile voile l'histoire du lieu, emblème d'un siècle et demi d'effervescence artistique parisienne. Edifié en 1864 et nommé «Ba-Ta-Clan» d'après une opérette orientaliste d'Offenbach, le café-concert du boulevard Voltaire était alors dévolu aux musiciens et acrobates, avec dancing à l'étage. On y représente des revues, des vaudevilles, des opérettes. Buffalo Bill comme Maurice Chevalier s'y produisent, avant que la salle ne connaisse diverses infortunes qui la conduisent à changer souvent d'affectation comme de propriétaires, devenant dans l'entre-deux-guerres, d'un cinéma un théâtre, et inversement. Le bâtiment change, perd la pagode qui le surmonte, brûle en 1933. Il est partiellement détruit puis restauré en 1950, pour retrouver à la fin des sixties sa vocation de salle de concert, et nouer sa mythologie propre à celle du rock à Paris - en 1972, l'émission Pop 2 y enregistre le concert de MC5 au milieu de Hell's Angels en furie, ou encore celui du Velvet Underground éphémèrement reformé en France.
One-man-Show
Alain Pacadis y traînera ses passions punks au milieu des années 70, puis Paris y découvrira le hip-hop en 1982, en faisant l’un des bastions des b-boys parisiens. Depuis, la salle aura accueilli aussi bien quelques bourgeonnements de la scène électronique que des one-man-show ou des soirées rétro, et les concerts d’artistes aussi divers que Snoop Dogg, Prince, Lou Reed, Stromae, Oasis, NTM ou Alain Bashung.
Malgré la détermination de ses responsables à ce que la salle conserve sa vocation festive et artistique («Bien sûr que le Bataclan va rouvrir, ce serait capituler si on le rouvre pas», a déclaré le cogérant Dominique Revert à Canal +), nul ne peut prédire ce qu'il adviendra de ces murs classés monument historique en 1991. Car il en va différemment, dans l'imaginaire collectif, des lieux d'une part, des institutions immatérielles de l'autre : il peut paraître aussi impensable d'aller danser à nouveau demain sur les décors d'un carnage, qu'il ne l'était en janvier d'envisager que Charlie Hebdo, aussi meurtri soit-il, ne poursuive pas son œuvre. Des travaux étaient déjà planifiés pour 2016 depuis l'acquisition en septembre par le groupe Lagardère, mais il faudra sans doute plus qu'un ravalement pour que l'on s'y rende à nouveau le cœur léger - y arrivera-t-on jamais ?
Nombre de médias ont largement repris depuis samedi les menaces dont la salle avait fait l'objet dans son histoire récente, suite à l'organisation en son sein de galas et de conférences par des organisations israéliennes, comme une possible explication à son ciblage par les bourreaux de Daech. En 2011, la DCRI avait appris que la branche gazaouie d'Al-Qaeda projetait un attentat contre le Bataclan au motif que «ses propriétaires sont des Juifs». Rien, pourtant, dans les éléments de l'enquête à ce jour, ni dans les revendications du groupe terroriste, ne permet d'établir formellement le lien entre les menaces passées et la conflagration d'horreur survenue ce 13 novembre.