En finir avec le boulet du cancer, ce fantôme qui rôde des années après et grève les projets des anciens malades. C’est le sens du «droit à l’oubli bancaire», prévu par un amendement au projet de loi santé. Si elle est adoptée, la mesure, qui devrait être examinée cette semaine à l’Assemblée nationale (si l’agenda est maintenu) après avoir été votée au Sénat début octobre, permettrait de faciliter l’accès à l’emprunt des anciens malades. En France métropolitaine, environ 350 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année.
Ce droit à l’oubli suscite de l’espoir chez les malades depuis 2014, quand François Hollande s’y était engagé lors de l’annonce du troisième plan cancer. Depuis, un droit à l’oubli limité a été introduit dans une convention existante, facilitant l’accès à l’assurance de certains ex-patients. Le projet de loi pourrait, lui, permettre à davantage d’anciens malades de nourrir des projets immobiliers ou professionnels, sans être pénalisés par leur dossier médical.
Comment ça se passe actuellement ?
Pour accorder un crédit, les banques exigent du futur emprunteur qu’il souscrive une assurance, qui garantit notamment le remboursement de la somme en cas de décès. Pour ce faire, il faut remplir un questionnaire médical, qui évalue le risque pris par l’assureur. Pour les anciens malades du cancer, c’est là que ça coince : leur pathologie passée entraîne souvent d’importantes surprimes et, parfois, des exclusions de garantie.
Depuis 2007, une convention entre les acteurs du secteur (banques, assurances, malades, pouvoirs publics), baptisée Aeras (acronyme de «s’assurer, emprunter avec un risque aggravé de santé»), est censée améliorer l’accès au crédit de ces populations et encadrer les pratiques. Après plusieurs révisions, un dernier toilettage, validé en septembre, a introduit un timide droit à l’oubli : désormais, les adultes ayant souffert d’un cancer ne sont plus tenus d’en informer les assureurs quinze ans après la fin des traitements. Ce délai est de cinq ans pour ceux qui sont tombés malades avant leur seizième anniversaire.
Qu’est-ce qui ne va pas ?
«Parfois, les surprimes, qui peuvent aller jusqu'à 300 %, viennent s'ajouter à des exclusions de garantie. Dans certains cas, on frôle le racket», s'agace Céline Lis-Raoux, fondatrice du semestriel Rose à destination des patients, à l'origine de la lutte pour l'instauration d'un «véritable droit à l'oubli». Résultat : confrontés à d'importants surcoûts, certains doivent renoncer à leur projet. D'autres décident de mentir à l'assurance. Un choix risqué : en cas de «sinistre» (de rechute ou de nouvelle maladie), si l'assurance découvre la vérité, le contrat devient caduc et l'assuré n'est plus protégé.
Pétition en ligne, manif virtuelle à coups de témoignages vidéos, tribunes… Rose, qui est aussi une association, estime qu'il est grand temps de réformer ce système.
En septembre plusieurs cancérologues et soignants estimaient eux aussi dans une tribune à Libération que la nouvelle mouture de la convention Aeras est «en deçà des attentes» et «fait fi des progrès immenses de la médecine et de la réalité de bien des pathologies dites de bon pronostic». L'association UFC-Que Choisir s'est elle aussi penchée sur le sujet : en mars dernier, avant que soit signé le dernier avenant à la convention Aeras, l'UFC pointait du doigt l'«échec patent [du dispositif], son fonctionnement inefficace et obscur et ses marges scandaleuses». «Si l'on compare le niveau de cotisation des assurés "à risques" au montant des prestations qui leur sont versées, on constate des marges pouvant aller jusqu'à 60 %. Un niveau de rentabilité exceptionnel», détaille Mathieu Escot, responsable des études à l'UFC.
Qu’est-ce qui pourrait changer à l’Assemblée ?
Cette notion de droit à l'oubli telle qu'inscrite dans la loi santé a été votée une première fois par les députés en avril. Elle concernait alors un public limité, calqué sur les dispositions prévues par la convention Aeras. Arrivé au Sénat fin septembre, le texte a été modifié et le public concerné élargi, en fonction des avancées de la médecine. Désormais, il est question d'accorder ce droit à l'oubli à tous les anciens malades dix ans après la fin de leurs traitements. Pour les cancers dits «de bon pronostic», comme celui du sein ou des testicules et pour les pathologies diagnostiquées avant l'âge de 18 ans, ce délai passerait à cinq ans.
Après ce laps de temps, plus besoin de mentionner la maladie passée aux assurances, ce qui s’avère souvent une épreuve psychologique autant qu’une galère administrative. Autre avancée introduite au Sénat : l’interdiction pour les assureurs de cumuler surprimes et exclusions de garantie. Enfin, une grille de référence encadrant les surprimes devrait être mise en place.
Qu’est-ce qui pourrait coincer ?
Certains craignent qu'inscrire dans la loi les mesures élargies par le Sénat ne vienne parasiter les négociations sur des avancées de la convention Aeras. «Si nous bousculons le dispositif qui vient à peine d'être établi, nous prenons le risque d'un blocage», a ainsi estimé la ministre de la Santé, Marisol Touraine, au Sénat. Mais pour Céline Lis-Raoux, «il est évident que la convention ne fonctionne pas. Il est temps d'agir». La journaliste s'apprête à lancer un appel aux députés, déjà signé par près de plusieurs dizaines de personnalités. Mathieu Escot, de l'UFC, estime que «la loi offrirait une protection plus durable que la convention». Dans un communiqué, les membres de la Commission de suivi Aeras rappellent, eux, leur «attachement» au droit à l'oubli tel que négocié dans la convention.
Photo Christophe Maout