D'habitude, dès la nuit tombée sur la route sinueuse de la vallée de la Roya, on s'arrête pour laisser passer les renards attirés par les phares. Mais samedi soir, c'est un gyrophare bleu qui stoppe les voitures. Les douaniers ont installé leur barrage filtrant à l'entrée du tunnel de Tende. De ce côté, la France. De l'autre, l'Italie. «Les contrôles d'identité sont systématiques dans les deux sens. Les agents font aussi des fouilles approfondies de certains véhicules», explique Annick Bartala, directrice régionale des douanes. Le rétablissement des contrôles aux frontières, mis en place pour la COP 21, a été renforcé après les attentats de Paris.
Patte blanche. Derrière son volant, Jean-Louis se présente aux douaniers vitre baissée, plafonnier allumé et carte d'identité à la main, lui qui d'habitude passe les confins «sans jamais voir personne». «Je suis compréhensif. Au vu des événements, je pense que ces contrôles sont indispensables, surtout sur ces axes secondaires. Ici, c'est une passoire.» Depuis 1993, la frontière entre la France et l'Italie est ouverte dans le cadre de l'espace Schengen. Pour nombre de ces locaux, travailleurs frontaliers ou vacanciers, montrer patte blanche aux forces de l'ordre est inédit. «Ça ne nous était jamais arrivé. Mais on a prévu le coup. On est partis en avance et avec nos passeports», explique Patrick, qui partage son quotidien entre les deux pays. Sa maison en Italie, son travail et ses loisirs en France. Dans la journée, ses filles et lui passeront quatre fois le barrage routier. «C'est l'attente qui agace, plus que le contrôle lui-même. Je trouve ce dispositif trop lourd, marmonne-t-il aux agents. Je ne veux pas vivre avec cette surveillance qui rythme mes journées.» Réponse de l'un des cinq douaniers présents : «Attendez-vous à être contrôlé à chaque fois, et surtout n'oubliez pas vos papiers.»
Toutes les vingt minutes, plus de trente voitures, camions et motos passent le col de Tende. Chargée du plancher au plafond, une voiture immatriculée en Suisse fait tiquer les agents : fouille intégrale. La sélection ? «Il y a du ciblage, de l'analyse de risques. Parfois ça se joue sur l'intuition», explique Gérald Astegiano, chef de service de la brigade des douanes. Très vite, le chargement se retrouve sur le bitume. «Je fais le déménagement de ma mère entre Lausanne et Vintimille. J'ai vu la télé, je sais ce qui se passe, alors je comprends», dédramatise le conducteur tout en demandant des nouvelles de l'enquête sur les attentats. Son micro-ondes, ses cartons, ses couvertures, son matelas et sa friteuse n'intéressent pas les douaniers. L'automobiliste reprend la route. Comme lui, les petits fourgons sans fenêtre et les 4 × 4 aux vitres teintées font l'objet d'une attention particulière. Ce samedi, pas moins de 150 véhicules seront refoulés à la frontière. Motif : carte d'identité absente ou périmée.
«Demi-tour». Valérie et François, leurs jeunes enfants Angel et Maïa et le copain Tomaso sont entassés dans leur voiture. Ils sont partis de Nice voilà une heure, direction Limone Piemonte. Manteau de ski sur les épaules, ils se voient déjà profiter de leur week-end à la montagne. «On est passé ici sans contrôle au moins 200 000 fois», dit François, qui voyage souvent sans ses papiers. Cette fois, l'escapade s'arrête à l'entrée du tunnel, en territoire français. Tomaso n'a pas sa carte d'identité. «Demi-tour», ordonne un douanier. Pour cette famille niçoise comme pour les passagers des 1 500 autres véhicules qui se sont présentés au contrôle samedi, la frontière n'était plus qu'un trait sur une carte, des panneaux routiers pour le folklore et la marque d'un changement de langue. Franchir les confins franco-italiens est redevenu une réalité physique. «Jusqu'à quand ?» interroge François, surpris de la sévérité des contrôles. «Tant que ces mesures de sécurité seront appliquées», répondent inlassablement les douaniers. Une voiture arrive au barrage : «Bonsoir. Contrôle.»