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Libération
Interview

Marie Rose Moro : «Il ne faut pas dire aux enfants que ça ne se reproduira plus»

La psychiatre Marie Rose Moro explique comment trouver les mots pour parler aux plus jeunes.
Marie Rose Moro.
publié le 16 novembre 2015 à 22h06

Marie Rose Moro est chef de service de la Maison des adolescents de Cochin, et psychiatre au sein de l’ONG Médecins sans frontières.

Comment les enfants sont-ils touchés par ces événements, par rapport aux adultes ?

Dans un premier temps, les enfants ont un peu la même difficulté que les adultes : ils sont face à une situation à laquelle ils ne peuvent pas donner de sens, ni établir des comparaisons.

Dans un deuxième temps, ils se confrontent à la question de la culpabilité. Ils se demandent : «Pourquoi ça nous arrive à nous ?» La première cause qui leur vient, c’est eux-mêmes. Selon leur tranche d’âge, ils sont par ailleurs confrontés à la question du Bien et du Mal. Ils ont besoin de savoir catégoriser et ont une sorte de réflexion morale, éthique. Ils sont en train de constituer leur jugement.

Enfin, ils sont tous concernés par le fait que ces événements atteignent la croyance fondamentale qu’ils ont dans la vie et que les adultes, parents, profs, etc., les protègent et protègent la vie. On ne voit pas forcément que cette croyance est touchée, mais c’est quand même comme ça qu’ils le vivent. Il ne faut pas banaliser ça, ce sont des blessures invisibles, mais qui touchent à la base de la sécurité, à l’attachement aux adultes et à la vie. Si ce n’est pas apaisé, consolé, cela peut avoir des conséquences sur leur développement.

Est-ce que le fait d’avoir déjà vécu les attentats de Charlie Hebdo change la perception des nouveaux événements ?

Quand les traumatismes se répètent, il y a un effet cumulatif. Le deuxième peut raviver des choses du premier, mais peut aussi, dans l’après-coup, re-décompenser des inquiétudes, des angoisses, des questions qui ne sont pas apparues la première fois. Si en plus on vit dans l’idée que ça peut se repasser à n’importe quel moment, c’est difficile à cicatriser.

Comment les adultes doivent-ils gérer cette situation ?

Il ne faut pas dire aux enfants que ça ne se reproduira plus, mais il ne faut pas non plus dramatiser dans une surprotection qui les mettrait dans la position de s’attendre à tout moment à être blessé ou à mourir. Il faut trouver le bon niveau et ne pas empêcher les enfants de vivre et de sortir, car ils risqueraient de s’enfermer dans leur peur.

Les mots partagés entre parents et enfants, ce sont des pansements. Mais il faut partager sans les devancer, les accompagner et ne pas constamment leur demander s’ils sont angoissés. Les situations dans chaque famille sont différentes, selon qu’on a été plus ou moins touché de près par les événements. Il n’y a pas de mots justes ou de mots à éviter comme le mot «guerre». Ce qui fait du bien, c’est de ne pas être seul et de savoir que l’on peut compter sur les adultes.

Les parents ont le droit d’être déboussolés, et s’ils ne se sentent pas de faire ce travail, il faut qu’ils ouvrent le cercle, aux grands-parents, aux amis, aux spécialistes. Le psychanalyste Donald Winnicott a beaucoup écrit sur les enfants et la guerre, et il estime que dans ces périodes, la psychothérapie des enfants peut être «profane» et doit être faite par tout le monde.