C’est une journée hors du temps, à Saint-Denis. La rue Corbillon, où a eu lieu l’assaut, est une des quatre petites rues qui relient le très large boulevard Carnot, où les deux voies de circulation sont séparées par la ligne 1 du tramway, et la rue de la République, artère piétonne située entre la basilique et l’église Saint-Denys de L’Estrée. La «rue de la Rep», c’est le centre névralgique de Saint-Denis. La journée, elle ne désemplit jamais. Tous les Dionysiens l’arpentent régulièrement. Sauf en ce 18 novembre, où le quartier entier a été bouclé entre 4h et 13h. Le périmètre a alors été réduit à un rayon d’une cinquantaine de mètres autour de la rue Corbillon. Quelques habitants sortent alors. Pour beaucoup, ils ont tout entendu. Il faut maintenant voir. Regroupés autours des barrières de sécurité, ils essaient de distinguer des traces des événements, avant de se mettre à discuter et de répondre, pour certains, aux médias français et étrangers venus en nombre.
«Sors pas, ça tire de partout»,
Soufiane (1), 17 ans dont 15 à Saint-Denis, habite rue Corbillon, à 20 mètres du lieu de l'assaut. «Vers 4h30, on a entendu les coups de feu. Il y a eu une pause, puis de nouveau des tirs et une grosse explosion.» Il a vécu les événements cloitré chez lui. Il a entendu la sommation d'un policier : «Si tu lèves une main, je tire.» Il a quand même fini par s'endormir en fin de matinée, après une longue nuit blanche. Il a encore du mal à réaliser : «Le monde est vraiment petit, ça s'est presque passé chez moi.» Il a fini par retrouver ses potes et traîne autour des barrières de sécurité. Parmi eux, Kevin, 27 ans. Lui habite près du Carrefour, à deux pas de la basilique. Il s'est levé comme à son habitude vers 7 heures pour aller bosser à Nanterre. «Mon père a dit : "Sors pas, ça tire de partout", mais je devais au moins essayer de me rendre à mon travail.» Bloqué sur son trajet, il a vécu la matinée dehors, à la limite du périmètre de sécurité, à suivre les événements sur le smartphone d'un ami branché sur les chaînes d'info. «Ça fait bizarre de voir la ville désertée, ça n'était jamais arrivé en 25 ans. Certains ne réalisent pas encore ce qui vient de se passer ici.» Un jeune homme s'incruste dans la conversation : «Moi, je réalise surtout que les types, ils sont venus à Saint-Denis pour pas se faire remarquer. T'imagine le mec dans le 14e arrondissement, il se serait fait choper direct !»
Rue du Cygne, à deux pas de la mairie, la cellule d'aide psychologique a été installée au centre municipal de santé. «Depuis 7h, nous avons accueilli une trentaine de personnes, raconte Robert Zelou, responsable des opérations de la Croix Rouge. Des gens qui ont vu, et surtout entendu, le déroulé des opérations. Il y en a beaucoup qui ont très mal vécu l'intensite et la violence de l'intervention policière. Mais pour la plupart, ils encaissent aussi très mal le fait d'avoir vécu ainsi, à deux pas de terroristes extrêmement dangereux.» Dès leur arrivée, ils sont accueillis, pour simplement discuter, avec un membre de la Croix-Rouge, avant d'être pris en charge pour un suivi de plus long terme par le Samu et la cellule d'urgence médico-psychologique. C'est le cas d'Hayat, une jeune mère de famille qui habite à 180 mètres de l'intervention. La nuit a été difficile. «J'ai très vite ressenti le besoin de parler, raconte-t-elle. Je voulais discuter avec mes voisins, mais c'était impossible. Je suis arrivée ici, avec ma fille, en tremblant, je ne savais pas quoi faire d'autre. On n'a rien vu, mais on a tout entendu. C'était horrible.»
Patrick Braouzec, président de la Communauté d'agglomération Plaine Commune et ancien maire de Saint-Denis (1991-2004), est en ce début d'après midi devant la mairie. Il se félicite de cette opération «très maitrisée» de la part des forces de l'ordre et des arrestations qui ont eu lieu. Il imagine «la peur et l'émotion» d'une population qu'il connaît bien. «Mais même s'il ne faut rien minimiser, ce genre d'événement peut bien sûr être traumatisant, il ne faut pas non plus dramatiser. Le drame, c'était vendredi soir. Peut-être que ce qui s'est passé aujourd'hui va nous aider à retrouver une certaine forme de sérénité.»
(1) Le prénom a été modifié