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Libération
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A propos de la une de «Libération»

La photo d'Abdelhamid Abaaoud en première page du journal ce jeudi a provoqué des réactions. Nos explications.
La une de Libération du 19 novembre. (DR)
publié le 19 novembre 2015 à 16h01

La une du Libération daté de jeudi, montrant le visage de celui qui est présenté comme un des responsables des attaques sur Paris et Saint-Denis vendredi dernier, a suscité quelques réactions. Un reproche revient : nous faisons le jeu des terroristes et nous lui accordons ce qu'il recherche en lui offrant une publicité gratuite. Nous nous sommes posés cette question, mercredi soir, en concevant cette une. Certes, Abdelhamid Abaaoud, dont nous avons eu la confirmation de la mort ce jeudi, aimait la publicité. Et oui, attirer l'attention, saisir par l'effroi, nous faire peur, implique les médias.

Depuis vendredi soir, ils ont aussi réussi ce coup-là. En assassinant 130 personnes au cœur de Paris, ils avaient l'assurance de capter l'attention de tous les médias du monde entier : les journaux, les sites web, les télévisions d'information en continu, les réseaux sociaux n'ont parlé que de ça… Abdelhamid Abaaoud et ses sbires ont bénéficié d'une couverture médiatique hors norme. Son visage, comme celui de ses autres complices dans l'horreur, s'est étalé sur les «timelines», les télévisions, les sites... Et donc à la une de Libération.

Notre enquête a montré le rôle central d'Abaaoud dans la récente vague d'attentats et tentatives d'attentats en France. Bernard Cazeneuve l'a confirmé ce jeudi. Expliquer à nos lecteurs qui sont les meurtriers et les raisons qui ont amenés ces tueurs à abattre des dizaines de personnes fait partie de notre métier.

Nous n'avons pas estimé alors (peut-être à tort selon quelques-uns d'entre vous) que montrer le visage du présumé chef du commando et raconter son parcours lui faisait plus de publicité qu'il n'en avait déjà obtenue. La logique, poussée à son maximum, de ne pas faire de publicité reviendrait à tenir un black out total sur les actes des terroristes. Le débat est intéressant, mais je crains que ce ne soit un débat sans solution…

Nous nous sommes aussi interrogés sur le sourire d’Abdelhamid Abaaoud. Oui, Abaaoud souriait. Oui, ce sourire est gênant. Parce que l’homme, que certains présentent comme un des pires tortionnaires de l’Etat islamique, n’a pas la gueule du salaud qu’il a été. Le «visage du mal» n’existe pas. C’est une vérité qu’il faut connaître. Les salauds n’ont pas des gueules de salauds et ils peuvent ressembler au mec d’à coté. Certains témoins du Bataclan ont d’ailleurs raconté la dissemblance entre les actes ignobles et les visages de ces jeunes hommes à peine sortis de l’adolescence. C’est cette différence, glaciale à bien des égards, que nous avons voulu mettre en une. En aucun cas, nous n’avons voulu choquer, et même imaginé que cette une serait perçue comme telle.

Voilà pour les explications.

Enfin, il y a eu d'autres remarques, reçues par mails, de certains qui nous conseillent de nous concentrer sur les victimes plutôt que sur les assassins. Ceux qui nous lisent savent que nous dressons le portrait de chacune des victimes, dans le quotidien et sur le site. Parce que nous avons souhaité rendre un hommage à ces victimes, parce que Libération a lui aussi été touché par la mort de proches.