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Libération

Attentats Paris. Portraits des personnes tuées

publié le 19 novembre 2015 à 18h06

Olivier Vernadal, 44 ans, tué au Bataclan

Originaire de Ceyrat, dans le Puy-de-Dôme, Olivier Vernadal, agent des impôts de 44 ans, habitait à deux pas du Bataclan, qu’il fréquentait régulièrement. Il est mort dans la salle vendredi soir. Fan de rock, il assistait souvent à des concerts.

Olivier Vernadal était footballeur amateur et avait, un temps, entraîné l'équipe de foot de Ceyrat. Le père de l'un des jeunes qu'il avait entraîné se souvient d'un homme très investi, toujours prêt à défendre ses joueurs : «Nous ne l'oublierons pas», écrit-il. Les habitants de la commune lui ont rendu hommage lundi. Une bannière «Nous sommes tous Olivier» a été accrochée sur la façade de la mairie. Le stade de Ceyrat portera désormais le nom d'Olivier Vernadal. M.O.

Manuel Colaço Dias, 63 ans, tué au Stade de France

Manuel Colaço Dias, 63 ans, est l’unique victime décédée aux abords du Stade de France. Il a été tué par le souffle quand l’un des trois kamikazes a actionné sa ceinture d’explosifs. Dans un texte adressé à Libération, ses enfants, Sophie, 33 ans, et Michael, 30 ans, le décrivent comme «un homme qui aimait les plaisirs simples, les moments passés avec sa famille, dans laquelle il était le sage, la personne aux bons conseils, aux paroles réconfortantes et à l’espoir constant».

Il était arrivé en France à 18 ans avec ses parents, originaires de Mértola, dans la région rurale de l’Alentejo, au Portugal. La famille s’était installée à Reims. «Il avait commencé par travailler dans la sidérurgie, précisent ses enfants, puis il a développé des activités dans la restauration et la vente de prêt-à-porter.» Manuel Dias était ensuite devenu chauffeur, profession qu’il exercera pendant dix ans, jusqu’à sa retraite, en 2013. «Mais il a continué à travailler dans le transport de passagers, à mi-temps et par hobby, pour le lien humain qu’il représentait», soulignent Sophie et Michael. Vendredi, il conduisait le minibus d’un groupe venu de Reims assister au match France-Allemagne. «Il n’avait pas été assigné à ce voyage, mais les passagers, qui le connaissaient et l’appréciaient, avaient demandé à son employeur qu’il les accompagne jusqu’à Paris.» Il allait se restaurer quand il a été tué.

Ses enfants concluent : «Il avait choisi la France comme pays d'adoption, et en ressentait une énorme fierté. Il était fier aussi d'avoir pu offrir à ses enfants les grandes études et la qualité de vie que ses propres parents n'avait pas pu lui donner dans un Portugal soumis à la dictature.» Manuel Dias était en outre très impliqué dans la vie associative portugaise de la région rémoise. Le Sporting Portugal, club de foot de Lisbonne, lui a rendu hommage dans un tweet et le Premier ministre de son pays d'origine, Pedro Passos Coelho, a adressé une lettre à sa famille. G.Si. et F.-X.G.

Manuel Perez, 40 ans, tué au Bataclan

La sœur de Manuel Perez, Maria, a accepté de témoigner : «Nos parents sont des immigrés espagnols à la retraite. Ils vivent la moitié de l’année à Grenade, l’autre à Paris. Malheureusement, ils étaient là-bas quand Manuel est mort. On a fait le voyage avec ma sœur pour leur dire. Ils savaient que mon frère habite près du Bataclan, qu’il aime la musique. Ils appelaient chez lui et il ne répondait pas. Ma mère devenait folle. Avec ma sœur, on a appris samedi après-midi. On l’avait cherché partout samedi matin. Sur son Facebook, il a posté une vidéo du concert, on voyait qu’il était au fond de la salle. Ça m’a fait une frayeur. Tous ces indices qui faisaient penser qu’il pouvait être tué. C’est finalement la cousine de sa copine, Précilia [également décédée lors de la tuerie, ndlr], qui l’a localisé à la morgue et nous a prévenues.

«C’est un Parisien né dans le IXe, «Paris forever», même si ses racines andalouses sont très fortes. Il avait la double nationalité, comme moi et ma sœur. On a dix et huit ans de plus que lui, c’était le petit dernier. Même s’il avait 40 ans. Ce n’est pas un âge pour mourir. Il a toujours bossé dans des maisons de disques. Il a travaillé chez Universal, à la division Barclay. Il était chef de projet, avait bossé avec Polnareff, en parlait tout le temps. L’an dernier, il s’est séparé de la mère de ses enfants et a été viré de chez Barclay. Il a réussi à rebondir en devenant agent immobilier. Tout ce qu’il voulait, c’était s’occuper de ses filles Emilie, 10 ans, et Alice, 7 ans. C’était un papa poule enroulé autour d’elles. Il avait une bande de potes inimaginable, c’est fou le nombre de gens qui nous appellent pour nous dire à quel point ils sont désolés. On l’a vu à l’institut médico-légal dimanche avec ma sœur. La mère de Précilia était là, elle ne nous connaissait pas, mais elle a deviné que j’étais la sœur de Manuel car on se ressemble. A l’accueil, ils ont été très bien. Une dame m’a dit qu’il était très beau. C’est vrai qu’il est vachement beau. Elle m’a dit aussi qu’on voit sur son visage qu’il est mort tranquille. On espère qu’il n’a rien vu venir, qu’il s’est fait faucher sans s’en rendre compte.»

Une minute de silence a eu lieu lundi chez Universal, pour lui rendre hommage, ainsi qu'à ses anciens collègues Thomas Ayad et à Marie Mosser. E.V.B.

Jean-Jacques Amiot, 68 ans, tué au Bataclan

«Jean-Jacques était un amoureux de la musique des années 60-70. C’était vraiment une grande passion. Dans son atelier, il avait affiché des photos de Jimi Hendrix. Vendredi soir, il était au Bataclan avec un copain, au premier rang. Il a pris une balle dans la tête par derrière. Son copain, lui, est vivant.»

Emmanuel Pierrot, photographe collaborateur de Libération, se souvient de Jean-Jacques Amiot avec émotion. Il pense à sa femme, Joëlle, avec qui Jean-Jacques formait un couple très soudé, fusionnel. «Après avoir été photographe, il a créé un atelier de sérigraphie au CAP Saint-Ouen [Seine-Saint-Denis]. Il était à la retraite depuis quatre ans mais continuait de travailler avec sa femme. Son atelier était une pièce centrale au CAP et tout le monde venait y discuter. Nous repartions parfois avec des pommes venues du Perche, où il avait un jardin secret. J’ai de très bons souvenirs des années où les enfants étaient petits, où ils couraient dans les couloirs. Jean-Jacques avait deux filles dans la trentaine et des petits-enfants.»

«C’était un pacifique, un homme doux», a dit de lui sa belle-sœur, Olga, au Télégramme. Jean-Jacques Amiot était très engagé à gauche mais, depuis l’ère Sarkozy, il avait perdu ses illusions. «Nous avions fait des tee-shirts Klaus Barbie avec la typo de Mattel. Cette fin lui ressemble. Elle est rock. Comme lui.»

Sur Facebook, Emmanuel Pierrot a posté la photo d'un chamboule-tout composé des cubes en bois utilisés comme cales dans la sérigraphie et couverts de peinture multicolore. Du «Jackson Pollock en 3D» à la mémoire de son ami décédé. K.H.-G. et C.Me.

Frédéric Henninot, 45 ans, tué au Bataclan

Frédéric Henninot avait l'habitude de la scène. Ce comédien amateur de 45 ans, père de deux enfants, assistait au concert avec sa compagne, qui s'en est elle sortie avec des blessures. Il y a près de dix ans, ce brun aux yeux bleu-gris avait rejoint le pôle relations extérieures de la Banque de France, à Cergy. «Tout le monde est sous le choc, c'est l'effroi. Je le connaissais bien. C'était un garçon très gentil. Il n'a pas mérité ça !» a témoigné une de ses collègues auprès du Parisien. K.H.-G.

Yannick Minvielle, 39 ans, tué au Bataclan

Originaire de Saône-et-Loire, Yannick Minvielle aurait eu 40 ans le 8 janvier. Il était directeur de création dans la publicité au sein du groupe Publicis. Passionné de musique, il chantait dans le groupe They Make Money So Why Don’t We. C’est cet amour du rock qui l’a mené au Bataclan, où il est mort vendredi soir. Sa famille et ses proches nous ont fait parvenir un texte : «C’était avant tout un amoureux de la vie qui aimait boire, manger, chanter, hurler et rire. Sa personnalité était solaire, son envie de vivre et d’aimer inépuisable. Yannick était un père tendre et attentionné pour son fils, Misha, avec qui il aimait partir camper aux quatre coins de la France. Ses proches veulent se rappeler sa chaleur, sa gentillesse, ses divers talents, son amour des bonnes choses, son humour et surtout sa joie de vivre inébranlable.»

De nombreux témoignages ont abondé sur les réseaux sociaux pour honorer la mémoire de Yannick Minvielle. L'écrivain Hafid Aggoune a publié un texte sur Facebook dédié à son ami : «Je n'oublierai pas nos années à livrer des pizzas quand on était étudiants, à Lyon, rue Chevreul, dans le froid, avec nos trois pulls, nos écharpes et nos gants, nos dérapages en mobylettes, notre solidarité, nos fiestas, nos rires à la plonge et tout le reste. Je n'oublierai pas que tu es venu voir ma chérie au théâtre et nos retrouvailles. Je ne t'oublierai pas. Continue de rire et t'amuser, aime de là où tu es. Nous, on ne va pas s'arrêter d'aimer, de lire, de voyager, d'enseigner, d'écrire, jouer, déconner, sourire, pleurer, jouir, créer, sortir, dessiner et défendre la vie et la liberté de croire et de ne pas croire, le désir infatigable d'être aux mondes. Pensées à ta famille, tes amis et collègues.» M.O.

Luis Felipe Zschoche Valle, 33 ans, tué au Bataclan

Luis Felipe Zschoche Valle est mort au Bataclan. Chilien, Luis Zschoche vivait à Paris depuis huit ans. Il était guitariste et chanteur au sein du groupe de rock stoner Captain Americano, dont le son peut se rapprocher de celui du groupe Eagles of Death Metal. Ses proches se souviennent d'un garçon adorable, enthousiaste, d'une bonne nature. Il avait joué avec Captain Americano au Bus, dans le IXe arrondissement, il y a un mois, et «ça l'avait rempli de joie», raconte un proche. Il avait 33 ans. Il était le petit ami d'une autre victime de l'attaque, Cécile Misse, 32 ans, qui travaillait comme chargée de production au théâtre Jean-Vilar de Suresnes (lire Libération de mercredi). M.O.

Caroline Prénat, 24 ans, tuée au Bataclan

Elle si rayonnante est partie avec un dernier sourire. «Elle a été une des premières à mourir. Elle était au bar avec une amie qui s’est absentée pour aller aux toilettes. Caro lui a souri, et elle est tombée. Elle n’a pas eu le temps d’avoir peur», a confié le père de Caroline Prénat au Progrès.

Elle avait 24 ans et s’était installée à Paris avec son compagnon depuis deux mois seulement. Originaire de Lyon, elle cherchait à Paris un poste de graphiste. En attendant, elle travaillait comme agent de cinéma au Pathé Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement. Ils n’ont eu que deux mois pour la découvrir, mais ses collègues parlent de Caroline comme de quelqu’un d’«extraordinaire». «Elle était si ouverte, si attentionnée avec les clients que je l’ai passée à temps complet au bout de quelques jours, dit le directeur de la salle, Arnaud Surel. On l’appelait «beaux yeux», elle apportait chaque jour sa fraîcheur, sa bonne humeur. Un rayon de soleil.»

Dernière-née de cinq enfants, Caroline Prénat était issue d'une vieille famille industrielle de la région lyonnaise. Selon le Progrès, son grand-père avait été l'ultime dirigeant de la Compagnie des hauts-fourneaux et des fonderies de Givors. Lundi, devant l'équipe éprouvée du cinéma Beaugrenelle, Arnaud Surel a rendu hommage à Caroline Prénat. «Les employés ont tous moins de 25 ans, comme elle. Ils étaient visés. Je leur ai dit qu'il allait falloir être à la hauteur, que la faiblesse attise la haine. Que la peine n'est pas une défaite mais une énergie.» «Faites un article, mais alors faites un article doux, comme l'était ma fille», nous a dit son père.  S.F.

Raphaël Ruiz, 37 ans, tué au Bataclan

Le groupe pop-rock amateur dont il tenait la guitare et les rênes a pour nom potache les Présidents du vice. Raphaël Ruiz, 37 ans, était un dingue de musique. Fan de U2, il s’apprêtait à enquiller quatre concerts de la bande à Bono avec son frère fusionnel, Christophe, qui raconte : «On traduisait les paroles du groupe en français, ça nous faisait marrer. Souvent, ça ne voulait plus rien dire ; mais c’était devenu une sorte de langage entre nous.» Christophe, qui habite Lyon, devait accompagner Raphaël au concert du 13 novembre au Bataclan. Des travaux dans sa maison l’ont fait reporter sa venue à Paris au dimanche d’après - pas question de rater U2.

Au-delà de son amour pour le groupe de Dublin et pour la bière Kilkenny, Raphaël Ruiz s’était intéressé à l’histoire de l’Irlande : une thèse de doctorat sur les conflits qui ont agité le pays l’avait amené à vivre six mois à Belfast. Son frère, de quatre ans et demi son aîné, dit, plein d’admiration : «Il était très mature, Raph, et carré, sérieux, pas du genre à ne pas aller au fond des choses. Plutôt réservé de nature, il ne prenait pas facilement la parole, mais quand il parlait, il avait un argumentaire et un avis très solides, jamais pour ne rien dire.» Leur cousin Arnaud Julliard confirme : «Raphaël était brillant, c’est vrai. Mais il était néanmoins un modèle d’humilité, qualité rare de nos jours. Certes, il était réservé, mais ce qu’il dégageait faisait qu’on avait toujours envie d’écouter ses points de vue car il était très fin et équilibré dans ses analyses.»

Né à Bourg-de-Péage (Drôme), Raphaël Ruiz vivait depuis une dizaine d'années à Paris, rallié pour un CDI de rédacteur de comptes rendus de réunions chez Ubiqus. «Il aurait voulu devenir journaliste, précise son frère, il avait d'ailleurs réussi le concours de l'école de Strasbourg, mais il a préféré rester sur son doctorat car il était rémunéré. Et il en avait marre des Parisiens et du métro… Mais il y avait les activités culturelles : il était toujours à l'affût.» Célibataire, sans enfant, ça ne l'empêchait pas d'adorer la compagnie de ses filleuls, Lily et Ellis. Son cousin, Arnaud Julliard : «Raphaël était quelqu'un de très responsable vis-à-vis d'autrui, de son frère, de ses parents. Sa manière d'être avec les autres et ses proches était vraiment admirable.» Son frère : «C'était quelqu'un de profondément gentil et généreux : il accordait beaucoup de temps aux gens qu'il appréciait.» Sur la photo qu'il nous transmet, on voit un grand gaillard souriant, solide : régulièrement, «Raph» alignait les longueurs en piscine. Christophe dit que, maintenant, Raphaël n'est plus avec lui, mais «en [lui]». Et que, oui, il continuera à écouter U2. Soudain, solennel, il émet un souhait : «Je sais que c'est fou, mais je voudrais que U2 vienne à l'enterrement de mon frère.» Ça atténuerait, un peu, l'horreur de ce friday, bloody friday du 13 novembre. S.Ch.

Ciprian Calciu, 28 ans, tué à la Belle équipe

D'origine roumaine, Ciprian Calciu est mort à la Belle Equipe avec sa compagne, Lacramioara Pop. Ils s'étaient rencontrés à Paris, où Ciprian était technicien pour l'une des filiales d'Otis France. Les amoureux, parents d'un petit garçon de 18 mois, passaient leur soirée à la Belle Equipe pour fêter l'anniversaire d'Hodda Saadi, également abattue, avec laquelle Lacramioara avait travaillé au Café des anges. Les collègues de Ciprian Calciu ont créé un fonds de soutien pour venir en aide au fils de leur camarade et la communauté roumaine a rendu hommage aux deux amoureux, dans leurs villes natales et sur Internet. L'équipe du Café des anges organise également une collecte sur le site Gofundme à destination du petit garçon de Ciprian et Lacramioara, ainsi qu'à la fille aînée (11 ans) de la jeune femme, dont le père est décédé. M.O.