Aen croire des spécialistes, le problème du renseignement français serait moins structurel que culturel. Longtemps érigée en modèle international, glorieuse ancêtre de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction de la surveillance du territoire (DST) fut un grand service de contre-espionnage, mais pas d'antiterrorisme. Une différence de taille : alors que le contre-espionnage s'inscrit dans la durée, le traitement patient des sources et la culture du secret, l'antiterrorisme est une affaire de temps court et de partage d'infos. Biberonnée à la guerre froide et obsédée pendant trente ans par la figure de l'espion soviétique ou iranien, la DST a eu du mal à retrouver une matière «noble» après la chute du Mur.
Dans les années 80, le terrorisme d'ETA ou d'Action directe relevait surtout des Renseignements généraux (RG). Les attentats commis à Paris en 1995 et l'irruption de Khaled Kelkal, terroriste algérien issu du Groupe islamique armé, va prendre le contre-espionnage de court. «On a brusquement compris qu'on n'avait plus le bon disque dur», se souvient un ancien. Ce modèle d'un service d'élite rompu au secret va pourtant perdurer jusqu'à la fusion de 2008 avec les RG. «On pensait que la culture des RG allait nourrir celle de la DST alors que c'est tout l'inverse qui s'est produit», explique un connaisseur du système. Coupée de ses racines et sanctuarisée par le secret défense, la DCRI n'a jamais autant fonctionné en vase clos.
Accusé sous la présidence Sarkozy de privatiser certaines enquêtes, jusqu'à frôler la barbouzerie, le service n'a jamais eu bonne presse. En 2013, après l'affaire Merah, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, dénonce lui-même les «failles» et les «fautes» de la DCRI, accusée d'avoir raté le tueur au scooter de Toulouse. Les pontes de la centrale parisienne avaient même envisagé de recruter Merah comme source, contre l'avis de leur antenne toulousaine. Après ce fiasco, pourtant, les seules mesures prises en interne ont été des promotions.
Ces revers successifs pousseront la gauche à réformer le système en 2014, en créant la DGSI sur le modèle de la DGSE (sécurité extérieure). Un changement structurel majeur : en libérant le service de sa tutelle policière pour en faire une direction à part, la réforme lui a donné plus de souplesse tout en lui permettant d’embaucher des contractuels civils, analystes ou interprètes. Mais cette plus forte autonomie a eu une autre conséquence : faire de la DGSI une tour d’ivoire qui a perdu tout contact avec le terrain.