Rarement des élections régionales auront été aussi peu régionales. Les attentats du 13 novembre, l’état d’urgence et la constitution d’une vraie fausse union nationale ont «nationalisé» les enjeux d’un scrutin qui, malgré la perspective d’une possible victoire du FN dans au moins deux grandes régions, n’avaient pas réussi à mobiliser les électeurs. En toute logique, cette renationalisation de la campagne devait profiter à deux camps : le FN, bien évidemment, et le PS, qui espérait trouver là une sorte d’impératif républicain - «voter pour répondre à la terreur du 13 Novembre». Si les sondages qui se succèdent depuis les attentats confirment la forte poussée du vote frontiste, ils n’enregistrent aucun rebond de la gauche. Il y a peut-être une raison simple : les attentats n’ont pas nationalisé le scrutin, ils l’ont européanisé.
Contrairement à ceux de «Charlie», les attentats ont moins questionné notre République que notre projet européen. Autour de deux interrogations. Beaucoup de Français se demandent si la libre circulation des Européens dans l’espace Schengen est finalement adaptée à ces temps de risque permanent. En rétablissant le contrôle aux frontières, le gouvernement a pris le risque de crédibiliser, d’un coup d’un seul, une solution jusqu’à présent défendue par le seul FN. Sauf à construire un mur de béton autour de nos 4 000 km de frontières terrestres, personne de sérieux ne croit à l’efficacité d’une telle mesure qui constituerait une incroyable régression historique. Mais peu importe : le retour des frontières nationales rassure, et l’opinion le plébiscite à presque 80 %.
La deuxième question est autrement plus sournoise et dévastatrice pour l’idée européenne. Non sans risque, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont placé l’UE face à ses responsabilités dans la crise migratoire. C’était non seulement courageux, mais salvateur : l’Europe portait (enfin !) un message politique à adresser au reste du monde. En répétant que plusieurs terroristes ont profité de l’afflux de migrants pour entrer en Europe (ce qui reste à démontrer), Marine Le Pen cherche à installer un dilemme mortifère et diabolique : faut-il, pour empêcher la mort de milliers de migrants, prendre le risque de voir mourir nos proches ? On sait comment l’opinion répond à ce genre d’interrogation. Le gouvernement pense qu’il n’a pas grand-chose à gagner à ouvrir ces débats. Et probablement tout à perdre. Alors il se tait. Et le FN s’envole.