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Libération
Reportage

Dans le Nord, la gauche peine à se faire violence

Se résoudre à voter Xavier Bertrand au second tour ? Pour les électeurs de gauche du Nord-Pas-de-Calais -Picardie, ça va être «plus que compliqué».
A la fédération du PS, à Lille, lundi. Pierre de Saintignon a appelé au rassemblement contre le FN. (Photo Aimée Thirion.)
publié le 7 décembre 2015 à 19h36

Si on compte sur l'électorat de gauche, battre Marine Le Pen va être dur. Il y a ceux qui acceptent de se faire violence, en votant Xavier Bertrand, ceux qui refusent sans états d'âme, mais aussi ceux qui passeront de la gauche au FN entre les deux tours. Elie (1), graphiste à Lille, fils d'ouvriers du Pas-de-Calais votera Bertrand, même si «ça va faire mal au cul». Mais il ajoute : «Pas pour lui, qui a des points communs avec le FN, mais contre le FN, parce j'ai peur pour les budgets de la culture, le social, le handicap.» Pas d'hésitation non plus pour Isabelle, prof de violon qui vote communiste : «Il faut pulvériser le FN.» Elle se souvient que quand le FN a passé la barre des 10 % elle trouvait ça catastrophique, «mais là, 40 % c'est énorme. Ceux qui disent que ça leur fait mal au ventre de voter à droite ne se rendent pas compte».

«Semaine de réflexion»

Pour Khalid, travailleur social à Lille, ça va être «plus que compliqué». Il avait voté Sandrine Rousseau [la liste EE-LV - PG, ndlr], il la trouvait «sincère» et il ne sait pas «du tout» ce qu'il va faire. «Je m'accorde la semaine de réflexion. Xavier Bertrand, même pour faire barrage au FN, c'est dur. Vu ses déclarations sur les réfugiés, le FN et lui, c'est même combat.» Même hésitation pour Guy, formateur en travail social. «Je l'ai fait pour Chirac, c'est vrai, mais Chirac était plus humain. Je crois que je ne vais pas avoir le choix.»

Berlusconi ou Mussolini

Et puis il y a les autres, comme Lucien (1), comptable dans le Pas-de-Calais, qui vote communiste et refuse de voter à droite. Il votera blanc. «Xavier Bertrand et Marine Le Pen, c'est pareil, les deux revers d'une même médaille, c'est le côté obscur, des capitalistes. Je ne peux pas accepter quelqu'un qui détruit le droit du travail que nos grands-parents ont bâti. Je ne peux pas voter pour les actionnaires, je suis du côté des ouvriers. On l'a combattu pendant trois mois de campagne, on ne peut pas dire maintenant : "Tiens, c'est le second tour, il faut le soutenir."» Mais ne sera-t-il pas consterné dimanche prochain, quand Marine Le Pen sera présidente de région ? «J'étais déjà consterné dimanche dernier.» Vote blanc aussi pour François, prof d'histoire à Croix, «99 chances sur 100». Et pour le point qui reste, 0,5 % pour Xavier Bertrand, et 0,5 % pour Marine Le Pen, «par colère». Ce petit-fils d'immigrés, catholique engagé, ne se voit pas faire ça, mais voter pour «un sarkozyste, la droite xénophobe», non plus. «Il est hors de question que je choisisse entre Berlusconi et Mussolini. Ce n'est pas à moi de faire barrage. C'était au PS, ce PS des beaux quartiers qui ignore le bas peuple.»

Et l'électeur de gauche qui pourrait voter FN dimanche prochain ? Voilà Joseph (1). Cet intérimaire en grande précarité depuis que son usine a fermé dans une ville socialiste du bassin minier vote communiste. Mais dimanche, il hésite entre abstention et FN. «Les usines vont toutes à l'étranger, les politiques disent qu'ils vont nous défendre et ils ne font rien. Marine Le Pen, peut-être qu'elle ne tiendra pas ses promesses non plus, mais on ne l'a pas encore essayée.» Son argument : «Ma fille a fait une demande de logement, et elle attend. Pendant ce temps, on donne des logements aux immigrants, avec l'électricité et le chauffage.»

(1) Le prénom a été modifié