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Libération
Voter pour lui ?

Philippe Richert, un centriste inflexible

Arrivé loin derrière le FN, le candidat pour la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine estime incarner à lui seul le consensus.
Philippe Richert, mardi à Strasbourg. (Photo Pascal Bastien)
publié le 8 décembre 2015 à 20h06

Le président sortant LR du conseil régional d’Alsace affronte le FN Florian Philippot dans une triangulaire qui s’annonce très difficile. Philippe Richert, de sensibilité centriste, aura raté bien des occasions de s’imposer comme un grand politique.

Qui est-il ? Philippe Richert, 62 ans, est l'homme politique alsacien typique : il est bien ancré dans son territoire et ne fait pas de vagues. Originaire d'une famille modeste et protestante d'Alsace du Nord, il rejoint chaque soir Wimmenau (1 100 habitants), à une heure de route de Strasbourg. Il remporte sa première victoire en 1982, avec l'étiquette UDF, quand il est élu conseiller général du canton de La-Petite-Pierre contre le favori (UDR). Il a 29 ans. Dix ans plus tard, il devient l'un des plus jeunes sénateurs d'alors. En 1995, il perd aux municipales de Strasbourg face à Catherine Trautmann, mais prend la tête du Bas-Rhin trois ans plus tard, et pour une décennie. En 2010, il devient seul président de région UMP dans une France rose. Ce qui lui a valu de devenir ministre des Collectivités territoriales sous Sarkozy. Et de préparer la fusion Haut-Rhin, Bas-Rhin et Alsace en une collectivité unique. Echec par référendum en avril 2013. «C'est le caillou dans son soulier. Il pensait marquer définitivement de son empreinte sa région, c'était sa bataille à lui. Il l'a perdue. Pas parce que le PS ou le FN y étaient opposés, mais parce que ses collègues de l'UMP n'en voulaient pas», rappelle le politologue Richard Kleinschmager.

Richert, c'est aussi le «traître» à la cause alsacienne pour les régionalistes, celui qui a plié l'échine en acceptant la fusion avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Durant cette campagne 2015, Richert, l'ancien prof de SVT sensible à l'écologie, a labouré méticuleusement le terrain, mais est resté inaudible à côté de l'agitation du parachuté Philippot. Le moment médiatiquement fort de sa campagne a été l'éviction de Nadine Morano. «Il a fait une bonne campagne pour des régionales en temps normal. Il a répondu en technicien à des dossiers locaux qu'il maîtrise bien. Mais nous étions dans un temps anormal. En ce sens, il a raté sa campagne. On attendait qu'il fasse de la politique, or il a évité tous les sujets clivants : la sécurité, les migrants», observe Philippe Breton, politologue et sociologue.

Pourquoi peut-il rebuter à gauche ?

Au moins, Morano n'est plus là. Virée après ses déclarations sur les races. «Richert n'est pas incompatible avec la gauche alsacienne, rocardienne, estime Kleinschmager. Mais il est dans le combat permanent, il ne fera aucun cadeau. Et il ne se dévoile pas, ce qui nourrit les soupçons à gauche. Il donne l'impression d'avoir fait un bon coup : éliminer la gauche.» Les écologistes, emmenés par Sandrine Bélier, ont milité pour l'ouverture de sa liste dans la mesure où Richert jouait la carte du front républicain. «Il a répondu qu'il ne pouvait pas changer sa liste puisqu'elle était déjà chez l'imprimeur. C'est terrifiant qu'il se replie sur la petitesse de cet argument, poursuit le politologue. Il a raté l'occasion de s'inscrire dans l'histoire comme le rassembleur de tous les républicains. Il aurait pu faire un geste, pas grand-chose, du symbolique, du fort. Mais ce n'est pas son style. Les électeurs de gauche vont devoir se pousser plus que d'habitude pour aller voter parce que la pilule est amère.»

Comment peut-il convaincre ? Le rassemblement c'est lui, point. Pour l'instant, Richert considère qu'il incarne déjà suffisamment le consensus. Il promet seulement que rien ne changera : il continuera à travailler avec tous (lire ci-dessus). C'est un peu court pour Roland Ries, maire PS de Strasbourg, qui appelle pourtant à voter pour lui : «Je souhaite qu'il puisse donner quelques gages, qu'il tende la main à ceux qui pourraient permettre sa victoire.» «Même Estrosi assure qu'il défendra le planning familial et l'art moderne !» ironise Philippe Breton. Et Richard Kleinschmager d'enchérir : «Si d'ici à dimanche il ne donne pas de signal fort et persiste dans cette attitude, les foules ne se déplaceront pas.»

«Je ne cherche pas à cliver à tout prix»

Philippe Richert (LR), le président sortant du conseil régional d’Alsace, explique comment il veut rallier les électeurs de gauche à sa gestion.

En quoi êtes-vous un homme de droite ?

Je suis quelqu’un du centre et de droite. Je crois dans les valeurs que le général de Gaulle a incarnées, l’autorité, l’engagement, la droiture. Et je suis centriste : européen, humaniste, ouvert aux autres. Je suis dans cette double culture qui caractérise l’Alsace. Compte tenu des difficultés, avoir une colonne vertébrale, cela aide. La politique, c’est répondre aux défis lancés par le territoire. C’est le terrain, c’est avoir de la glaise sur les chaussures, mais aussi savoir regarder au loin, avoir un cap pour ne pas s’égarer.

Quel est votre argument pour que les électeurs de gauche votent pour vous ?

Ceux qui me connaissent, les écolos, les socialistes, les régionalistes, savent que je porte en moi la volonté de travailler avec les autres, j’ai ce souci d’élaborer un projet commun. Mon budget culture a augmenté en dépit de la conjoncture difficile, les acteurs culturels alsaciens le savent. La difficulté consiste à le faire savoir en Lorraine et en Champagne-Ardenne, où je suis moins connu : les médias n’ont pas prêté la même attention à tous les candidats. Philippot est sur des postures de fermeture alors que je suis attaché aux valeurs de la République, au dialogue. Les valeurs ne sont pas là pour être affichées, mais pour être traduites dans les actes. Les idées ne sont pas faites pour être pensées, mais vécues. Si je suis élu, j’aurais l’occasion d’associer ceux qui ne seraient pas représentés au sein du conseil, notamment le PS et les écologistes. Dans le cadre d’«Alsace 2030», nous avons mené un travail prospectif pour les prochaines années et les ateliers étaient présidés par des gens de la majorité comme de la minorité. Nous avons travaillé ensemble, nous continuerons.

En appelant les électeurs de gauche à voter pour vous, n’apportez-vous pas de l’eau au moulin de l’«UMPS» ?

Je souhaite que les électeurs socialistes et écologistes votent pour moi. Mais aussi ceux qui ont voté FN au premier tour pour signaler leur exaspération et, surtout, ceux qui se sont abstenus. Je ne cherche pas à cliver à tout prix, je préfère le consensus. Il y a des choses qui nous divisent, mais celles qui nous rassemblent sont beaucoup plus importantes. Je me suis engagé dans cette campagne pour faire barrage au FN et je me battrai jusqu’au bout.