Magasins fermés, locaux abandonnés, volets clos, rues désertes… seules quelques silhouettes solitaires tiennent des murs lépreux. Même le sapin de Noël dressé sur la place paraît lugubre. Face à lui, un grand panneau noir sur la façade de la mairie : «Hommage aux victimes du terrorisme islamiste.» A Beaucaire (Gard), l'humeur n'est guère festive. Dans cette ville de 16 000 habitants, aucun indicateur ne semble vouloir virer au vert : le taux de chômage atteint 20 %, le taux de pauvreté 28 %. Seuls 40 % des foyers paient des impôts. Et dimanche, le vote FN a frôlé 60 %.
Une divine surprise pour Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, tête de liste dans le Gard pour ces régionales : «Je m'attendais plutôt à 50 %, reconnaît-il. Ce score est une vraie reconnaissance du travail réalisé ici.» En effet, ses administrés semblent tombés sous le charme de ce jeune homme en costume-cravate, élu aux municipales de mars 2014. On loue son omniprésence sur le terrain, sa disponibilité. On le décrit comme abordable, cordial. Il n'a que 32 ans ? Dans les bars du centre-ville, rares endroits où la vie semble s'être réfugiée, personne n'y trouve rien à redire. «Il est jeune et alors ? Y a pas d'âge… tranche Mathias, 53 ans. Depuis qu'il est là, ça marche droit.» L'assistance approuve en levant le coude. «Les impôts n'ont pas augmenté, ils ont même un peu baissé», se réjouit Claude, 60 ans. Et puis, le maire a doublé le marché : «Il a viré les vendeurs qui n'étaient pas en règle, il a fait le ménage et, du coup, la clientèle est différente, si vous voyez ce que je veux dire. Avant, à Beaucaire, ça votait à 60 % communiste, maintenant ça vote à 60 % FN. Faut croire qu'on en a eu marre.»
Et ils en ont toujours marre. Entre les verres de Pastis et les chopes de bière, les langues se délient : Tintin affirme qu'on «propose de la drogue» en plein centre-ville. Mathias n'a d'ailleurs jamais laissé sa fille acheter seule du pain là-bas, «de peur qu'il se passe quelque chose». «Je n'aurais jamais pensé voter FN, confie Cécile, la patronne du bar. Mais de voir ma ville se dégrader comme ça, ça ne laisse pas le choix.» Derrière son comptoir, elle n'a rien à cacher. Ni pour qui elle a voté ni pourquoi. Une photo de Julien Sanchez est même épinglée au mur. Ses parents votaient communiste, et le maire l'évoque volontiers, dans ses tracts, «l'ouverture d'esprit» et «l'humanisme que [lui] ont inculqué [ses] parents communistes». Tous pourtant n'ont pas renoncé : Paul, 73 ans, qui fut jadis adjoint d'un maire communiste. «60 % de vote FN, c'est une honte, une catastrophe. Le maire, il n'a que des initiatives pour diviser la population, comme cette crèche installée dans l'hôtel de ville.» Mais Paul est loin d'être majoritaire. «C'était 60 % de vote FN dimanche dernier. Ce sera 80 % dimanche prochain», prédit Tintin.
Sur Libération.fr, retrouvez l'interview de Julien Sanchez