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Libération

Le Front national, parti d’alternance

Ce n’est pas le parti d’extrême droite qui a changé, mais l’absence d’offre alternative.
publié le 9 décembre 2015 à 18h16

Le Front national a toujours été un parti d’extrême droite. Il le reste. Il passait jusqu’ici pour un parti protestataire, il devient non seulement un parti d’adhésion mais, plus encore, un parti d’alternance, candidat au pouvoir et susceptible de l’emporter à terme. Un nombre croissant de Français se reconnaît dans ses thèmes d’autorité, de repliement, de protection, d’ordre, de xénophobie. Son programme économique reprend toutes les erreurs et illusions des années 70. Peu lui importe. Il est arrivé en tête du premier tour des régionales, comme pour les européennes de l’an passé. Il peut revendiquer le titre de premier parti de France en 2015.

C'est une «première» absolue dans l'histoire, non seulement de la Ve République, mais aussi de nos cinq républiques. Il y a eu, bien sûr, déjà des surgissements de l'extrême droite et des poussées de fièvre nationaliste dans le passé. La fin du boulangisme, né à gauche et mort à droite, l'affaire Dreyfus, les ligues de l'entre-deux-guerres (Vichy étant hors République), le poujadisme, l'OAS, tous relevaient de l'extrême droite mais jusqu'alors, il s'agissait de mouvements éphémères, à vocation minoritaire, parfois groupusculaire.

Cette fois, rien de tel. Le FN s’inscrit dans la durée et la profondeur du peuple. Il se construit, il existe réellement depuis 1984. Il a progressé par phases successives avec des chutes et des rebonds dans le Nord, dans le Midi, dans l’Est et surtout, premier enracinement global, à la télévision, puis dans les réseaux sociaux où il domine et culmine. Il est en tête chez les jeunes, les ouvriers, les employés, comme le PC à son apogée dans les années 50. Le FN s’est enraciné, franchissant des barres de plus en plus hautes, notamment lorsque la gauche est au pouvoir. Depuis 2012, sa dynamique s’accélère, son implantation s’étend. Il est bel et bien devenu un front à composantes multiples, un «front national» car aucune région n’est épargnée, un front d’essence populaire puisqu’il est maintenant le plus plébéien. C’est une force redoutable, inquiétante, pugnace, réactionnaire au sens le plus littéral puisqu’elle propose de revenir à la France d’avant, à la France d’avant la crise, d’avant l’immigration musulmane, d’avant l’Europe, d’avant la mondialisation. Tel est le premier parti de France.

Il est servi par les circonstances qui illustrent diaboliquement ses thèmes et ses phantasmes. La poussée migratoire d’origine moyen-orientale a beau largement contourner la France, elle s’exhibe quotidiennement à la télévision et entretient la peur de l’étranger. Les attentats tragiques de cette année, légitimement anxiogènes, amplifient la peur des musulmans. Daech et les nouvelles formes de guerres servent le FN. Au-delà, c’est cependant le modèle social français, théoriquement l’un des plus protecteur au monde, qui ne parvient plus à remplir sa mission et alimente la thématique de l’extrême droite : chômage, précarité, pauvreté, déclassement, sentiment d’abandon et d’isolement, stagnation sociale, coupure masse-élites, le parapluie social imaginé à la Libération est troué de partout, et le FN s’engouffre dans ses béances.

Plus : contrairement à ce qui se passait dans les années 80 et 90, le FN n’est plus une spécificité française, loin de là. Il s’inscrit dans un vaste mouvement de poussées nationalistes européennes qui se vérifient semaine après semaine dans toutes les élections du Vieux Continent. Marine Le Pen devient l’emblème de la déconstruction de l’Europe et de la fièvre nationaliste qui se répand comme une pandémie.

Or, en face, personne ne trouve la réplique, parce que personne n’offre des solutions crédibles et mesurables. Il n’y a ni projets, ni méthodes, ni idées neuves. Le Front de gauche s’enlise, et les Verts déclinent. L’alternative n’est pas de ce côté-là. Le PS, miné par ses dissensions et par l’absence de résultats économiques tangibles, transforme depuis 2012 chaque élection en revers. La droite décomplexée fraye la voie au FN, la droite ouverte n’a ni la parole ni les rênes. Dans ces conditions, 2017 se présente comme une échéance périlleuse et complexe avec la présence annoncée de l’extrême droite au second tour, à un niveau que l’on ne peut plus prévoir. La campagne risque d’être obsessionnellement dominée par la question du FN, qui a déjà gagné la bataille médiatique et dont les propositions simplistes et illusoires, mais compréhensibles et populaires, portent plus que les projets brouillés des présidentiables classiques. L’élection présidentielle de 2017 devient ainsi historique.