«C'est la dernière occasion que nous pouvons saisir pour influencer ce texte, même si notre sort est déjà un peu scellé», lance, en anglais, un intervenant, depuis l'estrade. Face à lui, ils sont des centaines, venus de toute l'Europe, voire de plus loin, studieusement assis sur la dalle du CentQuatre, à Paris. C'est ici, depuis lundi, que se joue, tous les jours, la Zone d'action pour le climat, mobilisation citoyenne organisée par plusieurs associations de la Coalition climat 21, en marge de la COP. Sous les banderoles, «Nous sommes les solutions», «Capitalisme et néocapitalisme ne sauveront pas le climat», «Protect nature, save out future», l'heure, ce vendredi, en fin d'après-midi, est au décryptage des dernières évolutions du texte en cours de négociation au Bourget. «Cet accord est un peu mieux que ce que nous avions jusqu'alors, mais il n'est toujours pas suffisamment ambitieux et ne répond pas à nos exigences, reprend le militant. C'est une petite reforme, mais elle ne permettra pas de faire la différence, de transformer la situation actuelle.»
Pas question pour autant de plomber le moral des troupes : «Le point le plus positif reste la mobilisation. Des centaines de milliers de personnes ont marché à travers le monde avant la COP. Des rassemblements ont aussi eu lieu ces derniers jours, malgré les interdictions. Ce mouvement est en train et la lutte continue», poursuit-il.
Même discours d'équilibriste de Daniel, responsable de Greenpeace qui reprend le micro : pointer les limites de l'accord, tout en mettant en avant les quelques éléments de réjouissance. «Il n'y aura rien de visionnaire qui sortira de l'accord, mais en voyant ce texte demain, il faudra se dire que nous avons quand même parcouru un long chemin. Les pays vulnérables ont résisté. Alors, ne soyez pas déprimés par le texte, même si nos communiqués de presse sont très critiques. Pensez à ce qui aurait pu se passer de pire. Tournons-nous vers l'avenir et disons-nous que nous gagnerons. Un autre monde est possible.»
«Et ensuite ?»
Puis, vient le temps des questions. Le micro se promène dans la salle. «Ne faut-il pas penser en termes de décroissance ?», «Et la taxe sur les transactions financières, on en parle ?», «La COP 21, c'est un peu la comedia del arte, non ?», «Quels seront les outils pour voir si les objectifs seront bien mis en œuvre ?», «Et ensuite ?» «En 2019, il y aura aussi moyen de faire évoluer les gouvernements. Nous devons pousser encore pour que dans quatre ans nous puissions contenir la hausse à moins de 1,5 degré», reprend un intervenant. Avant d'aborder les prochaines actions organisées ce week-end. «Du fait de l'interdiction de manifester, nous avons dû trouver d'autres modes d'action, pour faire entendre notre voix dans la rue. Et cela a fonctionné, puisque le gouvernement semble prêt à nous laisser faire nos rassemblements demain. Nous sommes en négociation, mais il y a un progrès immense.»
Mais la prudence reste de mise. Et pour mener à bien ce plan d'actions, rien n'est laissé au hasard. Dans la salle, un livret rassemblant des conseils en cas d'arrestation est distribué. En complément, les participants ont droit à un briefing juridique. «Sur les 317 personnes arrêtées jusqu'à aujourd'hui, neuf ont eu des conséquences, dont quatre personnes qui ont été envoyées dans centre de rétention, l'un Belge et un autre Suisse, lance une autre intervenante, avant d'énumérer les cinq noms à des avocats à retenir et à contacter en cas de difficultés. Et d'ajouter : «Vous devez aussi planifier votre arrestation. Ne restez pas seul, si vous êtes pris par la police, mettez votre téléphone dans votre soutien-gorge, et surtout ne signez rien.» Puis viennent d'autres conseils : «Protégez votre visage mais ne le cachez pas, sinon vous risquez 400 euros d'amende.» Dans la salle, on note le tout sur des calepins, on se lève en signe de «oui» aux questions posées, on agite les mains pour montrer que l'on a bien compris les informations. Et on répète en boucle, en guise de répétition générale : «Je n'ai rien à déclarer.»
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«Nous aurons le dernier mot. Demain nous serons dans la rue», s'exclame un militant, pour clore cette parenthèse juridique. Trois actions viendront rythmer la journée de samedi, «le pic de la mobilisation citoyenne». La première : la «climat justice action», débutera vers 9 heures. «Nous allons écrire dans les rues de Paris un message géant par géolocalisation», explique une militante, avant d'inviter les militants à consulter la liste des points de rendez-vous sur le site internet dédié. La deuxième : l'opération «lignes rouges», une mobilisation «ni interdite, ni organisée», qui aura lieu à midi, le long de l'avenue de la Grande-Armée, explique une autre organisatrice. «On va contourner le concept de manifestation, en arrivant deux par deux, poursuit sa voisine, puis nous déploierons deux grandes banderoles.» La troisième : une chaîne humaine, organisée, à 14 heures, aux alentours de la Tour Eiffel et jusqu'au mur de la Paix, à proximité. Autant de gestes symboliques pour peser jusqu'au bout sur les négociations. «Pour résoudre les problèmes du changement climatique, nous sommes prêts à désobéir», conclut un militant.