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Libération
EDITORIAL

Le refus des risques

publié le 14 décembre 2015 à 20h06

Incorrigible classe politique… Dimanche soir, il n’est question que du chambardement nécessaire, du «big-bang» imminent, seul à même de répondre à la colère de l’électorat, de la vertueuse réforme qui rendra ses couleurs et ses valeurs à la République. Lundi matin, le parti LR écarte Nathalie Kosciusko-Morizet, coupable d’indépendance d’esprit. A gauche, on sent filtrer de l’Elysée une fiévreuse intention de ne rien changer à la ligne gouvernementale. La montagne du changement accouche d’une souris attentiste.

Pourtant chacun voit bien, à considérer l’inexorable montée de la frustration civique et du vote FN, qu’une certaine manière de faire de la politique, entre calculs cyniques et pusillanimité gestionnaire, ne peut plus durer. En sus de la fracture sociale qui jette un tiers de l’électorat dans la dissidence, la coupure entre dirigeants et dirigés est un trait majeur de la période. Ne rien faire, dans ces conditions, c’est tout faire pour favoriser la montée du nationalisme intolérant.

Tout changer, donc. Mais changer quoi, au juste ? Il n’entre pas dans les compétences des commentateurs de fournir un programme clé en main. On peut toutefois, à partir de quelques exemples, indiquer une voie, suggérer une action, entrevoir comment l’action politique pourrait progressivement rétablir un tant soit peu la confiance du citoyen dans ses représentants. Il s’agit d’abord du crédit de la parole politique, tombée dans l’abîme des promesses non tenues. Pourquoi ne pas instaurer, par un mécanisme solennel et institutionnel à la fois, un compte rendu de mandat obligatoire à périodes régulières pour tous les élus, président compris ? On le fait dans beaucoup de villes et les maires, comme par un fait exprès, gardent encore le respect de leurs électeurs. La politique économique joue un rôle central dans la lutte contre le chômage. La politique de l’offre ayant restauré les marges des entreprises, n’est-il pas temps de favoriser aussi la demande, par exemple en donnant un coup de pouce prudent mais significatif au pouvoir d’achat des classes populaires ? Bruxelles n’en veut pas ? Mais justement : à force de se retrancher derrière les obsessions financières de la Commission, on discrédite d’un seul mouvement l’Europe et le gouvernement français. La politique de l’Union a rendu le projet européen massivement impopulaire. Faut-il s’y résigner ?

L’immigration inquiète l’électorat. Faut-il raser les murs sur ce dossier, en laissant le champ libre aux thèses du Front national ? Ou bien, à l’instar des positions courageuses prises par Angela Merkel, qui n’a rien d’une irresponsable utopiste, définir une politique claire, à la fois ferme et ouverte, et la revendiquer, pour faire pièce, dans une bataille de valeurs et d’idées, aux tentations démagogues et xénophobes ?

L’exclusion est une plaie française. A droite et à gauche, plusieurs penseurs militent pour un «revenu de base» qui assurerait à tout un chacun un minimum décent écartant les affres de la misère. Des expériences en ce sens ont eu lieu à l’étranger, selon des modalités variées. Qu’aurait-on à perdre en expérimentant cette réforme qui serait un puissant levier d’intégration sociale ? Les exemples abondent, en fait, de mesures nouvelles propres à améliorer le sort des plus défavorisés. Il n’y manque que le courage politique, l’audace réformatrice. Plus que les politiques menées, c’est l’impuissance des gouvernants qui détruit la confiance. Nous arrivons à un moment de l’histoire politique où le refus de prendre des risques est plus dangereux que le risque lui-même.