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Libération
Portrait

Laurent Stalla-Bourdillon, l’Eglise en l’Etat

A l’heure des débats sur la laïcité, rencontre avec l’aumônier des parlementaires, qui côtoie les élus tout en douceur.
(Photo Rémy Artiges)
publié le 15 décembre 2015 à 17h56

Dans le séjour attenant à son bureau, la table est dressée en cet après-midi, le couvert est mis, qui patiente sur une nappe blanche. Au travers des tentures épaisses, on entend sonner la cloche de la basilique Sainte-Clotilde (Paris). Tout est fin prêt pour accueillir l'élu tenté de pousser la porte des locaux du Service pastoral d'études politiques (Spep). On est à deux pas du Palais-Bourbon mais aussi des restos chics et brasseries bondées du huppé VIIe arrondissement où journalistes et députés se côtoient au vu et au su de leur voisin de table. Chez lui, les agapes sont plus discrètes. Ceux avec qui il déjeune ne s'en cachent pas. Ils ne le clament pas haut et fort non plus. «On ne vient pas en écharpe tricolore, on laisse son étiquette au vestiaire», prévient un hôte.

Laurent Stalla-Bourdillon est l'aumônier des sénateurs et députés. Alors que la loi de 1905 a fêté ses 110 ans le 9 décembre et en ces temps où la laïcité est tour à tour brandie, malmenée, dévoyée, questionnée, le titre a de quoi faire sursauter. Créé en 1992 par le cardinal Lustiger, le job n'est pas officiellement reconnu par les deux Chambres. Mais c'est un service proposé par l'archevêché de Paris «pour sensibiliser les parlementaires aux questions spirituelles et les aider à décrypter les positions de l'Eglise», détaille celui qui est curé de la paroisse Sainte-Clotilde. Un accroc à la séparation de l'Eglise et de l'Etat ? Pas pour lui. «La laïcité est en souffrance d'un manque de connaissance des religions. Ce n'est pas parce qu'on ne croit pas qu'on ne doit pas connaître.» S'il assume le rôle qu'il a endossé depuis 2012, le prêtre de 46 ans, en col romain sur chemise blanche, marche sur des œufs.

A ceux qu'il rencontre «de façon informelle et amicale» - à son bureau, jamais à l'Assemblée - il ne parle pas de l'actu. Il lui est arrivé de mobiliser sur le sort des chrétiens d'Orient, l'accueil des réfugiés ou l'encyclique du pape sur l'écologie. Avec les élus ces temps-ci, il échange sur la montée du fondamentalisme. Lui a appris les attentats de Paris en pleine retraite dans une abbaye de la campagne normande. «Qu'est-ce qui touche ces jeunes jihadistes pour qu'ils répondent ? Pourquoi d'autres ont-ils trouvé l'antidote et pas eux ?»s'interroge-t-il en pliant sa longue carrure au fond de sa chaise. Il aime laisser des questions en suspens et creuser les mystères insondables. Loin des fiches bourrées de chiffres et d'éléments de langage qui rassurent le politique. «Ici, c'est leur sas de décompression, décrit-il. On prend du champ, on évoque d'autres sujets que ceux qu'ils évoquent aux questions au gouvernement.»

On imagine pourtant mal l'aumônier dépêché par l'Eglise seulement pour ranimer la flamme spirituelle qui sommeille en chaque parlementaire. N'est-il pas aux premières loges pour souffler un amendement ou exhorter à s'opposer à un texte ? Un lobbyiste clérical, en clair. Dieu l'en garde. «Ce serait me prêter un pouvoir que je n'ai pas», assure-t-il. Lorsque la France s'est écharpée sur le mariage pour tous, le prêtre raconte s'être mis en retrait : «Je devais m'adresser à tous, les parlementaires auraient mal pris une telle ingérence», justifie-t-il. Le député (LR) Philippe Gosselin le défend : «Je ne vais pas chercher mes ordres chez lui. Il y a beaucoup de fantasmes, on n'est pas les Templiers ou je ne sais quelle société secrète.» Les élus qui le fréquentent louent «sa haute exigence intellectuelle», «sa retenue», «sa proximité bien dosée». «Il est à bonne distance. Il ne capture pas son interlocuteur, le laisse très libre», vante Dominique Potier (PS) qu'il retrouve en fin de session autour d'une bière.

En général, c'est l'aumônier qui fait le premier pas. Depuis 2012, il a rencontré quelque 200 élus. D'autres reportent ou ne donnent pas suite. C'est plus fréquent à gauche. «Pour certains collègues, c'est "ne dites pas à ma mère que je suis catho, elle me croit socialiste !"»chambre Gosselin. Jean Glavany (PS), tenant d'une laïcité musclée, explique, lui : «Pour avoir l'avis de l'Eglise, je peux aussi en parler avec le curé de mon village. C'est aussi important d'avoir l'avis des juifs, des musulmans, des protestants, des athées et des agnostiques, les plus nombreux.» Mais il n'y a pas d'imam ni de rabbin des politiques ni de porte-parole des non-croyants.

Il a été le premier surpris d'être propulsé à ce poste par le cardinal André Vingt-Trois, lui qui n'est «pas du sérail et n'a pas fait Sciences-Po». Lecteur boulimique de presse et d'essais - sur sa pile, Le monde est clos et le désir infini de Daniel Cohen, l'Homme éternel de G.K. Chesterton -, il s'est toujours intéressé à la politique mais ce sont les enjeux internationaux qui captivent ce passionné d'Asie. Rapportés de ses voyages en Inde, en Chine ou en Terre sainte, des bouddhas, petits chameaux et éléphants côtoient les images pieuses sur sa bibliothèque. Bien sûr, il tait pour qui il vote, une confession «impensable». De toute façon, il juge le clivage droite-gauche «largement surjoué». Dans sa famille, plutôt aisée, on ne se rangeait pas derrière un camp. En 1981, se souvient-il, sa mère a voté Giscard et son père Mitterrand. Il n'était «pas du sérail» mais pas si loin des lieux de pouvoir. Fils d'une interprète de russe au Quai d'Orsay et d'un ingénieur chimiste, il a grandi à Paris (XIe) et Boulogne. Il reste un Parisien pur jus, qui fait son jogging aux Invalides et au jardin du Luxembourg. Avant, il a officié derrière le Panthéon et à Saint-Germain-des-Prés. Un curé des beaux quartiers logé au presbytère du VIIe qui, malgré ses 1 080 euros mensuels, se dit «privilégié».

S'il a reçu une éducation chrétienne, ses parents ne lui ont guère expliqué les racines de leur foi. Ils disaient : «On est catholiques, on pratique.» Amen. L'ado se morfondait à la messe jusqu'à ce que sa famille soit frappée par un drame, un incendie emportant sa tante et trois de ses enfants. «Un appel a résonné en moi, l'expérience d'une rencontre intérieure.» Etudiant en école de commerce, il regarde vaguement vers le journalisme mais après son service militaire, emprunte un chemin qui le mène à Rome, celui du séminaire.

Pour rien au monde il n'échangerait sa place, surtout pas pour un mandat. Loin d'envier ces drôles d'oiseaux que sont les parlementaires, il aime «la gratuité» de sa tâche : «Je ne suis pas évalué, on n'attend pas de moi des résultats.» Il n'a pas de compte à rendre sur la performance de ses bénédictions, lui qui chaque mercredi célèbre une messe pour ses élus dans la chapelle qui jouxte Sainte-Clotilde et leur consacre ses prières quotidiennes. «Mon trombinoscope sous les yeux, je pense à eux, pour qu'ils accomplissent leur mission de la manière la plus heureuse.» Peu importent leurs bilans, leurs travers, leurs calculs, il continue de prier pour ces animaux politiques qu'il couve de loin, grenouilles de bénitier ou brebis égarées.

19 juillet 1969 Naissance à Paris.

1992 Entre au séminaire.

1999 Ordonné prêtre à Notre-Dame-de-Paris.

2012 Nommé aumônier des parlementaires.