Comment ça va la famille ? Que les adeptes des normes bien propres sur elles soient rassurés. Oui, le mariage reste la situation conjugale la plus commune (trois couples sur quatre sont mariés). Et oui, la famille la plus répandue reste celle constituée par des parents mariés vivant avec les enfants qu’ils ont eus ensemble. C’est du moins ce qui ressort d’un important état des lieux intitulé «Couples et familles» présenté ce mardi par le très sérieux Insee. Un coup à entonner l’air de «vive la famille tradi» défendu avec moult vociférations par une partie de la droite, la Manif pour tous et consorts, qui ne saurait tolérer aucun autre modèle ?
Si l'Insee range sous la bannière « famille traditionnelle» «les couples d'adultes cohabitants, mariés ou non, et les enfants nés de leur union (ou adoptés ensemble), partageant le même logement», il ne s'agit là que de statistiques cliniques. «A l'intérieur même de cette catégorie trompeuse, on trouve à la fois des gens qui ont en effet une vision traditionnelle, souvent religieuse du mariage, et pour qui le divorce n'est pas une option, et d'autres, plus "modernes", adoptant une vision plus contractuelle, avec une possibilité de séparation si la satisfaction n'est plus présente dans le couple», nuance d'emblée le sociologue spécialiste de la famille François de Singly. Premier point. Deuxièmement, si la catégorie «traditionnelle» représente 70 % des familles (chiffres de 2011), elle comptait pour 75 % des cas en 1999. Le signe que, derrière un modèle dominant, ça gigote. Avec notamment des unions de plus en fragiles et une envolée des familles monoparentales, tandis que persiste une condition féminine nettement plus fragile face à la conjugalité. Radiographie.
Stabilité : union-désunion-union…
Adeptes des longs fleuves tranquilles, il va falloir s’y faire : remous et noyades sont désormais légion dans le couple. Ainsi, alors qu’entre 1993 et 1996, 155 000 couples entre 25 et 45 ans se sont séparés chaque année, seize ans plus tard, leur nombre bondit à 253 000. Ce qui, pour François de Singly, traduit la montée en puissance d’une nouvelle vision de la relation amoureuse, «dans laquelle la satisfaction est considérée comme une exigence à laquelle chacun a droit».
Se séparer ou divorcer est désormais plus facile, y compris pour les femmes, plus indépendantes financièrement depuis la fin des années 60. Bon à savoir : l'Insee a constaté que «le risque de rupture est plus élevé au cours des quatre premières années de cohabitation». Mais même si on se sépare plus qu'avant, on se recase et on se réinstalle aussi à deux plus facilement : les Français nés dans les années 70 sont ainsi deux fois plus nombreux (22 %) à avoir vécu au moins deux fois en couple que ceux nés dans les années 50. Enfin, sans surprise, retrouver une «moitié» est plus aisé quand on se sépare jeune : jusqu'à cinq fois plus simple pour une femme qui rompt entre 25 et 34 ans qu'après 45 ans.
Garde des enfants : la mère, toujours la mère
La France a-t-elle fait un grand saut dans la parité en ce qui concerne la garde des enfants après une séparation ? Euh… La «résidence» chez la mère reste prépondérante (75 % des cas). Et la fameuse garde alternée promue par une loi portée par Ségolène Royal en 2002 ? Elle a presque doublé dans les décisions de divorce entre 2003 et 2012, passant de 12 % à 21 %. Dans le détail, et sans surprise, la solution de la garde alternée est plus fréquente en cas de divorce par consentement mutuel, lorsque les parents ne sont pas mariés, résident dans la même ville et enfin, que les enfants ont plus de 6 ans.
Mais même en augmentation, cette option est loin d'être la règle. Ce que déplorent de plus en plus fortement certains hommes depuis quelques années. Les plus intrépides ont ainsi escaladé des grues, tandis que les plus radicaux n'hésitent pas à crier au «papartheid» ou à l'«aliénation parentale». Vraiment ? Les opposant(e)s à une garde alternée systématique (comme au Québec) font vertement remarquer que dans 80 % des cas, c'est le couple (dont le père) qui a décidé d'un commun accord de fixer la résidence principale de l'enfant chez la mère. Quant aux féministes, elles soulignent l'importance de faire du cas par cas, eu égard aux chiffres des violences faites aux femmes.
Séparations : les femmes paient cher
Après une rupture, ce sont bien souvent les femmes qui trinquent, qu'elles aient des enfants ou non. D'abord financièrement. Un an après un divorce ou une rupture de pacs, leur niveau de vie baisse en moyenne de 20 %, contre seulement 3 % chez les hommes. «La perte est beaucoup plus importante pour les femmes, parce qu'elles apportaient en moyenne (dans 53 % des cas) moins de ressources au ménage», note l'Insee. «Et beaucoup de mères de deux ou trois enfants cessent aussi de travailler à temps plein», complète le sociologue François de Singly. Cette baisse de revenus se fait d'autant plus ressentir que les enfants vivent bien souvent au domicile de la mère «nourricière».
L'impact des séparations n'est pas qu'économique et, selon l'Insee, les femmes ont aussi moins tendance ou moins de chance de se recaser : quinze ans après une séparation survenue entre 25 et 50 ans, 79 % des femmes sont de nouveau en couple, contre 87 % des hommes. «Certes, ce sont souvent elles qui ont les enfants à charge, et peuvent donc moins sortir», constate François de Singly avant d'ajouter que certaines font le choix de rester seules. Pour le sociologue par ailleurs, si les hommes retrouvent plus facilement chaussure à leur pied, c'est aussi parce qu'ils sont plus enclins à quitter une femme quand ils en ont déjà trouvé une autre.
Familles monoparentales : envolée et pauvreté
Si près d'une famille sur dix est recomposée (une donnée assez stable), deux sur dix sont désormais monoparentales. Et là, ça commence vraiment à chiffrer. Et à être préoccupant. Pourquoi ? Rien à voir avec la morale, mais avec la précarité de certaines : 40 % des familles monoparentales sont considérées comme pauvres, c'est-à-dire vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 980 euros par mois en 2011. Elles accueillent, qui plus est, 35 % des enfants les plus démunis. L'explication ? La monoparentalité, essentiellement maternelle (dans 85 % des cas), s'est «répandue surtout parmi les femmes moins diplômées», explique l'Insee. A cela deux explications : les non-diplômées qui rompent une union ont plus souvent des enfants que les plus diplômés, car elles deviennent, en moyenne, mères plus tôt. Et par ailleurs, les non-diplômées restent plus longtemps en situation de monoparentalité que les autres. Ainsi, 24 % des femmes non diplômées sont en situation monoparentale depuis dix ans ou plus, contre 15 % des bachelières ou diplômées du supérieur.
Un problème franco-français ? En Europe, la monoparentalité est passée de 14 % à 19 % entre 1996 et 2012. A se demander si, au fond, la famille monoparentale n'est pas en train de devenir un modèle ? «Certes, ce type de famille prend de l'importance statistiquement sans pour autant devenir un standard, précise le sociologue François de Singly. Je n'ai jamais entendu aucune femme dire: "mon rêve est de construire ce genre de famille".»
Mariages : les homos à la rescousse
Un petit dernier est venu agrandir le vaste portrait des familles en mai 2013 : le mariage pour tous. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'attente de pouvoir «concrétiser» les unions homos semblait très grande : 7 367 mariages entre couples de même sexe ont été célébrés entre mai 2013 (date de l'entrée en vigueur de la loi) et décembre 2013. Un nombre qui a grimpé à 10 000 en 2014, et a carrément boosté les mariages célébrés en France : alors que les unions hétérosexuelles connaissaient une petite baisse de régime, le nombre total d'unions maritales en 2014 a finalement dépassé celui de 2013 : 241 000 contre 238 592.
Et avant l’ouverture du mariage à tous les Français ? Les couples de même sexe se tournaient à 44 % vers le pacte civil de solidarité (pacs). Créé en 1999, le pacs a d’abord attiré les homos avant de devenir petit à petit une affaire d’hétéros. Pour autant, on est bien loin d’une ruée vers le pacs. Au total, en 2011, seulement 4 % de la population était pacsée, soit 1,4 million de Français. Un chiffre très faible face au nombre d’unions libres (23 %). Pourquoi ? L’idée de plus en plus répandue qu’un mariage est dissoluble et la simplification des procédures de divorce ont «rapproché le pacs et le mariage civil», selon le sociologue François de Singly.