Menu
Libération
2017

Présidentielle : Les nouvelles règles du jeu

Parrainages, horaires du vote, financement, temps de parole… La proposition de loi discutée ce mercredi à l’Assemblée risque d’opposer petits et grands partis.
Soirée électorale de France 2 lors du second tour de la présidentielle 2012. (Photo Benoît Grimbert pour «Libération»)
publié le 15 décembre 2015 à 18h56

C’est le lot de chaque campagne présidentielle. Ce qui fait son folklore, diront les fatalistes… Ou qui, c’est selon, tient à distance des urnes des millions d’électeurs dégoûtés. Une batterie de polémiques, ponctuées de poursuites en justice, que chaque camp s’emploie à faire mousser. Ici, c’est un candidat qui désespère d’arracher les 500 parrainages, seuil pour pouvoir briguer l’Elysée. Là, un nain politique se plaignant de ne pas avoir accès aux antennes trustées par les cadors médiatiques. Ou un autre qui crève le plafond des dépenses de campagne autorisées mais jure n’avoir rien su des tarifs pratiqués par ses prestataires…

Tripatouillage. Le député (PS) Jean-Jacques Urvoas a tenté de répondre à ces «contestations qui reviennent à chaque présidentielle», mais enfouies sous le tapis sitôt le scrutin plié… jusqu'à la fois d'après. Deux propositions de loi visant à «moderniser» et à rendre «irréprochable» l'élection suprême doivent être discutées mercredi à l'Assemblée. Mais comment réécrire la règle du jeu d'une main innocente ? Pour parer aux soupçons de tripatouillage, le président de la commission des lois assure n'avoir rien inventé mais seulement pioché dans les multiples recommandations et autres rapports commis par de respectables organes de contrôle (Conseil constitutionnel, Commission nationale de contrôle de la campagne, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Commission des sondages, etc.). Il dit aussi ne pas procéder à un chamboulement, mais à des ajustements «utiles et consensuels».

Candidat-ovni. Peine perdue. Les consignes actuelles ont beau être insatisfaisantes, y toucher n'est jamais neutre. Le texte sera probablement voté, mais chacun va scruter ce qui pourrait doper ou léser son camp. «Le droit électoral ne devrait pas être un objet de clivage politique», déplore Thierry Rambaud, professeur de droit public à l'université Paris-Descartes et à Sciences-Po, qui rêverait d'une proposition de loi «commune à toutes les formations représentées au Parlement». Dans un réflexe pavlovien, la droite a trouvé que l'initiative flairait «la combine», dixit Christian Jacob, chef du groupe LR à l'Assemblée. Les petits partis s'inquiètent - sans doute à plus juste titre - d'un système de parrainages encore plus raide et d'un traitement médiatique moins favorable. L'opposition se demande aussi si le raccourcissement de la période de campagne à six mois n'est pas un joli cadeau offert au président sortant… Urvoas est même parvenu à réveiller avant l'heure le candidat-ovni Jacques Cheminade, qui l'accuse de «museler la présidentielle en catimini».

Le député du Finistère pensait avoir un peu de marge en s’y prenant seize mois à l’avance, le temps de boucler le débat parlementaire un an avant le premier tour de 2017 comme le veut l’usage. Manifestement, c’est encore trop court.

500 parrainages : plus de transparence, moins de «poker menteur»

La complainte du candidat obligé de jeter l'éponge faute de pouvoir réunir les 500 parrainages nécessaires ? Jean-Jacques Urvoas n'y croit pas et en veut pour preuve le nombre de prétendants à l'Elysée : «12 en 2007, 10 en 2012, il n'y a pas de carence.» Il soupçonne même «une stratégie organisée par les équipes pour générer un suspense et harceler les élus». La collecte des signatures : bluff ou corvée du «petit» candidat ? Chaque campagne commence par ce psychodrame récurrent dont Jean-Marie Le Pen avait fait sa spécialité. En 2012, tous s'accordaient sur la nécessité de réformer ce filtre imaginé en 1962 et renforcé en 1976. Parmi les pistes : anonymat des parrainages, tri des candidats par un collège de 100 000 élus, parrainages citoyens.

Loin d'assouplir la règle, le texte tend à la durcir. Ce ne sont plus les candidats qui se chargeraient de collecter les signatures mais les élus, qui enverraient leur déclaration au Conseil constitutionnel. Le but : éviter les pressions exercées sur eux pour décrocher le sésame… ou pour les dissuader de signer pour un autre. Et les «sages» publieraient tous les parrainages, et non plus 500 tirés au sort. Convaincu que l'anonymat ouvrirait la voie aux manipulations, Urvoas veut «réaffirmer le caractère volontaire et personnel de l'acte». Pour que les candidats sachent où ils en sont, la liste serait publiée au fur et à mesure. Pascal Popelin (PS) applaudit «la fin des parties de poker menteur».

Mais les partis ne disposant pas d'un gros vivier d'élus s'inquiètent. Le FN, vu sa percée électorale, est à l'abri pour 2017. Mais quid d'un candidat écolo ? «C'est important que le candidat soit en mesure de comptabiliser les parrainages», surtout s'il est à quelques paraphes près, plaide Marc Dolez (député du Nord, Front de gauche). Pour Jean-Christophe Lagarde (UDI), si «des candidats peuvent paraître décalés voire farfelus», «le fait de leur compliquer» la tâche n'est «pas acceptable».

Temps de parole : équité plutôt qu’égalité, la prime aux partis en place

Durant les trois semaines qui courent de la publication de la liste des candidats au début de la campagne officielle, les radios et les télévisions sont aujourd’hui contraintes à l’égalité des temps de parole entre les concurrents. Une minute de François Hollande vaut une minute de Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) : haute exigence démocratique mais enfer programmatique. Le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, propose que les médias audiovisuels s’en tiennent, durant la période «intermédiaire», à un simple principe d’équité. Puis, retour à la règle de la stricte égalité à quinze jours du premier tour.

Le système de l'équité laisse à l'appréciation de chacun le poids des candidats (selon les sondages, les derniers scores électoraux, leur faculté à faire campagne…). C'est alambiqué mais les chaînes et antennes vont bicher. En mars 2012, huit directeurs de rédaction avaient dénoncé auprès du Conseil constitutionnel le casse-tête de l'égalité du temps de parole. «Une règle baroque, dit Urvoas. Elle dissuade certaines chaînes d'organiser des débats et conduit in fine à une réduction du temps médiatique consacré à la campagne.»

Mais c'est la question la plus contestée des deux propositions de loi. Les petites formations craignent que le principe d'équité déséquilibre encore plus la couverture médiatique au profit des grosses pointures. Pour Marc Dolez, du groupe Front de gauche, «conditionner le niveau de temps de parole aux résultats des plus récentes élections revient à accorder une prime aux partis déjà en position de force». Le Front de gauche en fait «un point dur» et y voit, comme EE-LV et l'UDI, une entorse au pluralisme. «Evitons l'hypocrisie, on fait parler des candidats à 3 heures du matin pour qu'ils aient le même temps de parole, rétorque Urvoas. Quand Jacques Cheminade obtient 0,25 %, cela ne me paraît pas anormal qu'il n'ait pas exactement le même traitement [que les autres].»

Comptes de campagne : contrôles pendant six mois au lieu d’un an

Un président déjà en campagne ou un candidat encore en déplacement officiel ? Plusieurs mois avant la présidentielle, la confusion des genres entretenue par Nicolas Sarkozy avait ulcéré le PS. En déplacement sur le site du Tricastin (Drôme, Vaucluse) en novembre 2011, le chef de l’Etat en avait profité pour étriller son futur adversaire, François Hollande.

Pour remédier au flou, Urvoas veut réduire d'un an à six mois la période durant laquelle les dépenses de campagne sont comptabilisées. Du même coup, les primaires - dont on ne sait pas clairement quelle part intégrer aux comptes de campagne - sont concernées si elles ont lieu moins de six mois avant le premier tour. Le député PS reprend une vieille revendication de la Commission des comptes de campagne chargée d'éplucher les factures des candidats, laquelle peine à trancher «le caractère éventuellement électoral des dépenses dans les douze mois avant l'élection» alors que l'essentiel de la campagne est resserré sur les six derniers mois. Reste que la réduction de la fenêtre de contrôle ne résout pas la question d'un président sortant qui, six mois avant l'élection, ferait campagne en douce aux frais de la princesse. Cela ferait même sortir des radars de possibles frais de campagne déguisés. «Il y a une difficulté à faire la distinction, surtout dans les premiers mois, mais cette modification recherche la simplification au détriment de la transparence», note l'avocat et spécialiste du droit des partis, Jean-Christophe Ménard. En commission des lois, les députés ont voté un amendement de la droite qui étend à toutes les élections la période de campagne de six mois au lieu de douze.

Pour qu'un scandale Bygmalion ne passe plus entre les mailles, le texte prévoit, enfin, de «renforcer les moyens d'investigation» de la Commission des comptes de campagne pour qu'elle puisse chiffrer certaines dépenses nébuleuses (impression de documents, organisation de meetings).

Bureaux de vote : en finir avec #RadioLondres

Sur Twitter et les sites étrangers, chacun s'en était donné à cœur joie. A quelques minutes de l'issue du duel Sarkozy-Hollande fleurissaient les messages faussement cryptés sous le hashtag #radioLondres : «Beau fixe à Amsterdam, pluie à Budapest» ou «Poulidor serait hongrois, je répète, Poulidor serait hongrois.» Pour éviter la cacophonie de 2012 et faire respecter le code électoral qui interdit toute publication de résultats partiels ou de sondages avant 20 heures, il est question de repousser la fermeture des bureaux de vote à 19 heures - en la maintenant à 20 heures dans les grandes villes. Une idée de bon sens : plus on réduit cet intervalle, moins on risque de voir fuiter les résultats alors que les derniers électeurs continuent de voter. Les plus petites mairies devront toutefois s'organiser pour satisfaire à cette amplitude horaire. Ce qui, en 2012, chiffonnait le constitutionnaliste Guy Carcassonne : «Demander à toutes les petites communes rurales qui ont déjà du mal à trouver un président et deux scrutateurs d'ouvrir les bureaux une heure de plus, c'est prendre un pilon pour attraper une mouche.» Le texte fixe aussi à 75 000 euros l'amende en cas de divulgation avant l'heure, qu'il s'agisse de sondages comme de dépouillements partiels.