Adieu la gauche ? Les messages qui émanent de Matignon, de plus en plus nets depuis ces dernières élections, ne laissent aucun doute sur la volonté d’une partie de l’exécutif : cap au centre. Cette ancienne tentation - on l’appelait jadis la troisième force - reprend vie sous de nouveaux atours. Pour contrer le Front national, pour gouverner selon la modernité européenne, pour mettre en œuvre les réformes nécessaires, dit-on, il faut rebattre les cartes politiques, abandonner les oripeaux usés de l’union de la gauche et construire, à terme, une alliance avec le centre et peut-être la droite. L’idée a sa cohérence. D’abord elle est populaire. Toujours dans l’opinion française court cet espoir d’une entente de bonne volonté entre camps opposés. Si tous les gars du monde politique voulaient se donner la main… Ensuite la gauche a changé. Réaliste, acceptant l’économie de marché, voulant jouer le jeu de la mondialisation, elle est tentée par un élargissement au centre de sa majorité, si menacée aujourd’hui. La stratégie, enfin, recoupe l’évolution de l’électorat PS, urbain, ouvert, issu des classes moyennes salariées et intellectuelles, prêt à servir de soutien à une «République du centre».
Et pourtant… Outre qu'elle a toujours échoué sous la Ve République, la troisième force fait ipso facto une croix sur l'espoir de reconquérir un électorat populaire encore sensible à la justice sociale. Electoralement, elle correspond à un deuxième tour où Marine Le Pen serait présente, menaçante, obligeant droite et gauche à unir leurs forces. Mais le deuxième tour est précédé… d'un premier tour. Comment franchir l'obstacle si l'on renonce d'avance à unir les électeurs de gauche ? Sans le secours d'une partie des quelque 10 % ou 15 % qui votent à gauche du PS, un candidat socialiste n'a pratiquement aucune chance d'y parvenir. Peut-il se permettre de les ignorer ? La gauche, enfin, n'est pas seulement une coalition électorale, un amas de partis petits et grands. C'est un rêve, un projet, une protestation élémentaire contre les injustices du monde. Cette idée est ancienne, floue, malmenée. Est-elle morte ? Pour l'enterrer au profit d'une politique de juste milieu, prosaïque et technique à souhait, il faut en être bien sûr.