Il ne le fera pas. Selon plusieurs sources à l'Elysée, François Hollande a renoncé à inscrire dans la Constitution la possibilité de déchoir de leur nationalité des binationaux «nés Français» et condamnés pour «atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation» ou pour «acte de terrorisme». Alors que le chef de l'Etat l'avait annoncée, le 16 novembre, devant les parlementaires réunis en congrès, cette proposition, vieille revendication de l'extrême droite, est devenue une «matière à risque», redoute-t-on dans l'entourage du Président.
A l'écoute des critiques de nombreux socialistes qui ne comptent pas acter la création de «deux catégories de Français», le président de la République a aussi été convaincu par le sociologue Patrick Weil, qu'il a rencontré il y a quelques jours et qui a invoqué le risque d'une rupture d'égalité. En effet, la déchéance de nationalité, déjà possible pour les binationaux naturalisés, serait étendue aux binationaux français de naissance. Mais elle ne frapperait pas les «seuls» Français, puisque divers textes internationaux interdisent de produire des apatrides. D'où le risque de stigmatiser les 4 millions de binationaux. Face au risque de buter sur le seuil nécessaire des trois cinquièmes de suffrages de parlementaires pour réviser la Constitution, l'exécutif a un temps songé à se rabattre sur une simple loi, mais a vite conclu, là encore, à l'impasse.
Inflammable. Le projet de loi constitutionnel examiné mercredi en Conseil des ministres sera donc amputé de son inflammable article 2. Le suspense réside donc principalement dans la façon dont le gouvernement va enrober ce rétropédalage. L'avis rendu par le Conseil d'Etat devrait lui fournir des arguments. Tout en se montrant «favorable» à l'avant-projet de loi, les magistrats expliquent que la mesure pourrait aller à l'encontre de l'histoire républicaine du pays. Selon eux, «la nationalité française représente dès la naissance un élément constitutif de la personne». En priver quelqu'un «pourrait être regardé comme une atteinte excessive et disproportionnée à ces droits» et contraire à la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
«Symbolique». Déjà, la semaine dernière, plusieurs responsables de la majorité avaient préparé le terrain, minimisant la portée de cette mesure «symbolique». Sans être «choqué» par la déchéance de nationalité pour tous les binationaux, Valls s'interrogeait devant quelques journalistes : «Pour trois ou quatre terroristes, est-ce que ça en vaut la peine ? Ça ne dissuade aucun terroriste de se faire sauter…» Le patron des députés PS, Bruno Le Roux, contribuait lundi au changement de pied : «Cela soulève trop de débats annexes à la lutte contre le terrorisme […] pour mettre ce débat au centre.»Pour justifier cette volte-face, Julien Dray, ami de Hollande, en vient à une démonstration qui confine à la mauvaise foi : «Il fallait mettre la question sur la table [pour se rendre] compte de la difficulté à la mettre en place, et du peu d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme.»
Si la réaction des socialistes n'a pas été immédiate, entre sidération post-attentats et nécessité de rester groupés avant les régionales, il devenait évident qu'une frange importante de la majorité, et pas seulement frondeuse, refuserait de voter un marqueur de droite et du FN. Poursuivre sur cette voie, c'était aller au-devant d'une nouvelle crise politique. Coauteure d'une tribune contre la déchéance de nationalité, la députée PS Chaynesse Khirouni fait valoir qu'une telle mesure «très clivante» aurait «touché à l'ADN de tous nos combats à gauche». «Si l'exécutif la maintenait, il aurait pris le risque d'une fracture irréversible», avertit encore son collègue Pascal Cherki. Dimanche, Cécile Duflot a estimé que ce serait «plus qu'une ligne rouge, une faute».
Si un ministre glisse que François Hollande et Manuel Valls ont été «plus inspirés» par le passé, certains socialistes se demandent encore comment l'exécutif a pu se fourrer dans un tel piège. «Qu'ils se débrouillent, ils se sont mis tout seuls dans leur bêtise», râle un frondeur tandis qu'un collègue reste intrigué : «Tant mieux s'ils le retirent, mais quel est le génie des Alpages qui a sorti ce truc ?»