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Analyse

Pour la droite, un cadeau encombrant

S’ils savourent leur victoire idéologique, les parlementaires LR, suspectant un piège, hésitent encore sur leur vote.
Eric Ciotti devant le siège du parti «Les Républicains», en juin. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 23 décembre 2015 à 20h11

Y avait-il meilleur cadeau à offrir à la droite ? En une matinée, l'exécutif lui a servi l'extension de la déchéance de nationalité et la tête de sa ministre honnie sur un plateau. «Hollande mollasson», criaient la veille de nombreuses figures du parti Les Républicains (LR), prenant pour acquis le recul de l'exécutif sur la déchéance de nationalité. «Taubira démission», se sont-ils mis à chanter après le spectaculaire revirement, ravis d'exploiter le désaveu subi par la garde des Sceaux (lire page 3). A Alger mardi, celle-ci avait grillé tout le monde en annonçant avant l'heure l'abandon de la disposition… Qui plus est «sur une radio étrangère depuis un pays étranger», s'étrangle le droitier Philippe Meunier (député du Rhône).

L'opposition s'est donc empressée, après l'annonce de Manuel Valls, de relever la «baffe» infligée à la ministre de la Justice. Son maintien serait d'autant plus intenable, pointe Eric Ciotti, qu'il lui appartiendra de défendre le texte au Parlement : «Quelle crédibilité peut-elle avoir alors qu'elle en a critiqué la principale mesure ?»

«Amateur». Si un Alain Juppé ne cachait pas son scepticisme sur cette mesure, l'aile droitière de LR peut aussi se targuer de remporter une victoire idéologique. Deux propositions de loi de Philippe Meunier ont ainsi été débattues sur le sujet en un an à l'Assemblée - alors rejetées manu militari par la gauche. Thierry Mariani applaudit donc cette «brèche dans le droit du sol, qui n'a rien d'un dogme intangible» .

A l'origine, il s'agissait même d'une revendication portée par l'extrême droite. La présidente du FN, Marine Le Pen, y voit carrément un «premier effet des 6,8 millions de voix pour le Front national aux élections régionales» tandis que le député (FN-Rassemblement Bleu marine) Gilbert Collard annonce déjà qu'il approuvera le texte. Et le sénateur (FN) David Rachline ne l'exclut pas.

Les parlementaires de droite sont nettement plus prudents sur leur vote et promettent d'abord de scruter le projet de loi «article par article» lorsqu'il viendra au menu de l'Assemblée nationale début février. Car certains hésitent : improvisation de la gauche ou traquenard ? «Ils perdent sur tous les tableaux, auprès des gens de gauche opposés à la déchéance pour des raisons philosophiques mais aussi chez ceux qui jugent l'outil efficace et pour qui ce salto arrière sans les mains fait amateur», tranche Thierry Solère.

«Loup». A l'inverse, Mariani détecte un «piège tendu par Hollande»: «Une réforme constitutionnelle, pour un Président, est une sorte de trophée. Le vote a lieu en février, comme si le jeu était que tout le monde à droite s'engueule d'ici là. En même temps, s'il n'y a pas de loup, il sera difficile de ne pas voter.» D'autres ne s'interdiront toutefois pas de s'opposer à la réforme. Soit parce que «la constitutionnalisation de l'état d'urgence n'est pas nécessaire», estime Guillaume Larrivé. Soit s'il ne s'agit que «d'une gigantesque opération de com», prévient Solère.

Même Philippe Meunier fait la fine bouche, jugeant que la déchéance, prononcée après une condamnation pénale, «restreint extrêmement le champ» par rapport à sa proposition. D'autres encore se verraient bien profiter du débat parlementaire pour intégrer au texte d'autres pistes de leur cru, comme l'internement des fichés «S» (pour «sûreté d'Etat»). L'appétit vient en mangeant.