Il y a des lapsus qui ont valeur de confession politique. En évoquant, hier en conférence de presse, la «déchéance de responsabilité» au lieu de «la déchéance de nationalité», la langue de Christiane Taubira n'a fait que traduire un profond malaise. Avec le maintien, dans le projet de réforme, de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français, alors qu'elle annonçait l'inverse la veille lors d'un voyage officiel à Alger, voilà la garde des Sceaux non seulement prise en défaut, mais surtout dans la délicate situation de défendre une mesure dont elle a toujours contesté l'efficacité et les principes. Sa démission, plus que jamais réclamée à droite (lire page 5), «n'est pas à l'ordre du jour», a fait savoir son entourage.
Minimiser. Manuel Valls l'a publiquement confirmée à son poste mercredi : «Nous défendrons ensemble ce texte devant le Parlement, chacun a droit à ses doutes», a désamorcé le Premier ministre. «Ce qui est important, ça n'est pas ma présence ou non au gouvernement. C'est la capacité pour le président de la République et pour le gouvernement de faire face aux dangers auxquels nous sommes confrontés et d'apporter les réponses les plus efficaces», a embrayé la garde des Sceaux. Pour retomber sur ses pattes, l'entourage de Taubira expliquait, mercredi, que la nouvelle mouture du texte, en reprenant les recommandations du Conseil d'Etat, encadrait plus strictement le champ d'application de la future déchéance, puisqu'il ne concerne plus les «crimes et délits» mais seulement «les crimes». La ministre a tenté de minimiser ses réserves envers une mesure issue de l'extrême droite et fustigée par une large part de la gauche (lire page 4) : «La seule fois ou je me suis exprimée sur la déchéance de la nationalité, je n'ai pas hésité à dire que ceux qui retournent leurs armes contre leurs compatriotes s'excluent eux-mêmes de la communauté nationale», a-t-elle fait valoir, sans convaincre grand monde. Car Taubira, comme la quasi-totalité des membres du gouvernement, avait exprimé à plusieurs reprises son attachement au strict respect du droit du sol. Le 28 novembre, à l'Elysée, lors d'une réunion de travail en présence de Hollande, Valls et Cazeneuve, elle avait eu l'occasion de plaider une nouvelle (et dernière) fois pour l'abandon de l'extension de la déchéance de nationalité. Soulignant notamment la rupture d'égalité entre Français et binationaux. Ainsi, quand elle s'envole pour Alger, Taubira est convaincue que Hollande est en train de se ranger à sa position. D'où sa sortie à la télé algérienne. Elle pensait annoncer une victoire, elle récolte un désaveu cinglant.
Icône. Au-delà de son statut d'icône pour une large part des électeurs de Hollande, à quoi peut-elle bien servir aujourd'hui ? Si ce n'est comme caution morale à la ligne sécuritaire du couple exécutif, afin d'éviter une nouvelle crise au sein de la majorité ? A l'exception du mariage pour tous, son bilan est maigre : après une réforme pénale largement édulcorée, celle de la justice des mineurs est quasi enterrée (elle avait pourtant failli démissionner avant d'obtenir son inscription au calendrier parlementaire 2016…). Désormais, c'est carrément sa crédibilité sur les valeurs qui est en question.