Le président de la République et le gouvernement veulent faire figurer dans le projet de révision de la Constitution l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et condamnés pour terrorisme. Certains s’inquiètent ou même s’indignent devant la distinction entre Français nés en France de parents français et binationaux nés en France qu’impliquerait ce projet.
Mais les mêmes ne remettent pas en cause le principe de cette déchéance lorsqu'il s'applique aux naturalisés, comme c'est le cas aujourd'hui. L'inégalité de fait qui existe entre les Français par naturalisation et les autres ne paraît pas susciter l'émoi des bonnes consciences de gauche. Dans l'état actuel de la législation, il y a bien deux sortes de Français binationaux : les premiers, les naturalisés depuis moins de quinze ans, peuvent être déchus de leur nationalité par décret du gouvernement s'ils ont été condamnés pour «un crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation», les seconds non.
Tout le monde s’accorde à considérer le caractère symbolique de la déchéance de nationalité. Inscrire dans la Constitution son extension aux binationaux nés en France aurait au moins le mérite de mettre symboliquement sur le même pied tous les binationaux français, quel qu’ait été leur mode d’acquisition de la nationalité française.
Mais comme on ne peut déchoir de sa nationalité un Français «de souche», parce qu’il deviendrait de ce fait apatride (convention onusienne d’août 1961), il resterait donc toujours, avec cette mesure, une inégalité de droit entre les Français seulement français et les binationaux, tous les binationaux, qui pourraient, le cas échéant, être déchus de leur nationalité.
La loi française reconnaîtrait ainsi, c’est vrai, une responsabilité particulière aux individus qui ont choisi de devenir français, ce qui, il faut le préciser, est le cas de tous les binationaux. Une personne qui demande sa naturalisation, outre qu’elle doit signaler la ou les nationalités qu’elle désire conserver et celles auxquelles elle entend renoncer, doit signer la charte des droits et devoirs du citoyen français. Mais, de leur côté, un jeune homme ou une jeune femme nés en France de parents étrangers, qui bénéficient du droit du sol, ont la possibilité de décliner la nationalité française au cours des six mois qui précèdent leur majorité ou durant les douze mois suivants, s’ils peuvent faire la preuve qu’ils ont une autre nationalité. L’automaticité n’est donc pas le contraire du choix. Tous les binationaux français ont choisi de devenir - ou de rester - français. Les binationaux sont, en un sens, les plus français des Français puisqu’ils le sont par une démarche explicitement ou implicitement volontaire. Ceux d’entre eux qui se retournent contre leur pays peuvent donc être considérés en outre comme parjures.
Cela dit, comment sortir par le haut de la difficulté créée par l’inégalité du traitement infligé aux terroristes selon qu’ils sont binationaux ou non ?
Pour assurer et manifester l’égalité des Français, ne pourrions-nous pas instaurer un «baptême républicain» au cours duquel, l’année de leur majorité, tous les jeunes hommes et toutes les jeunes femmes de notre pays, sans distinction d’origine et de statut, seraient tenus de signer la charte des droits et devoirs du citoyen français ? A la différence de la journée «défense et citoyenneté», cette signature aurait lieu à la mairie du lieu de résidence des intéressés, chaque année à la même date. Une telle cérémonie, célébrée simultanément dans toutes les communes de France, aurait une forte portée symbolique.
Pour le reste, la notion d’indignité nationale pourrait être redéfinie et entendue comme déchéance de citoyenneté. Pourquoi ne pas déchoir tout Français condamné pour terrorisme de sa qualité de citoyen ? Plus infamante encore et plus effective que la déchéance de nationalité, la déchéance de citoyenneté aurait l’avantage de pouvoir s’appliquer à tout citoyen coupable de trahison, qu’il soit français par naturalisation ou par droit du sol, binational ou non. Elle apaiserait les bonnes consciences de la gauche. Mais elle ne pourrait apparaître comme une reculade du gouvernement car elle aurait, outre la force du symbole, des conséquences pratiques très lourdes. Les désaccords et les débats sont l’âme de la République. Mais il est impératif qu’au nom de la lutte contre un obscurantisme meurtrier et fondamentalement hostile aux principes qui sont les nôtres, nous, républicains, fassions bloc et nous montrions pour une fois unanimes. A chacun d’y œuvrer en conscience, du côté du gouvernement comme du côté des parlementaires de la majorité et de l’opposition.